Une société néo-urbaine à la dérive, obsédée par le besoin d’oublier ses enfants voyous qui violent, qui tuent et qui rançonnent pour une cigarette, son consumérisme qui ravage notre planète, les bébés qu’on y commande sur catalogue et les cintrés du genre, cantonnée dans ses vertueux aller-retour en vélo au Lidl ou à l’épicerie Bio, prétend me dicter ma vie. Et pire, celle de mes enfants.

Ma vie, c’est mon pays, ma terre, mon terroir. Où que j’ai été.

Ma vie a d’abord été mon Morvan. Je l’ai arpenté année après année depuis mon enfance. J’y ai compté les arbres de mon petit bois. J’y ai attrapé mes premières écrevisses, j’y ai admiré mes premiers chevreuils, vu s’envoler ma première bécasse à 8 ans, tiré mon premier lièvre à 14.

J’y ai appris, année après année, en écoutant mes aînés. À l’enfance, à l’adolescence, à l’âge adulte encore. Je m’y suis construit. J’y ai appris la valeur de l’erreur qu’on sait reconnaître. L’humilité devant la nature, l’homme et leur infinie complexité.

J’y ai appris la valeur de l’amitié et du respect. La solidarité entre voisins, la générosité de ceux qui cultivent et qui élèvent, ceux qui nous nourrissent. Et celle de tous ceux qui font. J’y ai appris que nous pouvons nous engueuler à l’occasion, mais que nous partageons les mêmes besoins, la même fragilité, que nous sommes une communauté.

J’ai été aussi l’enfant d’une classe privilégiée, j’en ai vu les qualités, mais aussi les vanités, les faux-semblants. J’en ai appris les mérites, les illusions et l’impuissance. J’ai appris que, qui que nous soyons, nous ne sommes rien de plus que nos connaissances et notre curiosité.

J’ai élargi mon horizon, vécu là où les donneurs de leçons ne s’aventurent guère. J’ai partagé, conscient de mon privilège ultime de bobo occidental toujours rapatriable, la vie de ceux dont la sécurité alimentaire est un rêve, dont le toit n’est pas assuré, dont l’enfant peut mourir d’un rien.

Je suis revenu dans notre petite Europe privilégiée, j’ai été écoeuré par notre débauche d’obèses ostentatoires, à la première console de supermarché. J’ai cru pouvoir fuir, j’ai dit merde à une carrière, je suis retourné au milieu de nulle part dans ma cambrousse.

J’y ai appris qu’on ne pouvait pas échapper à ce que nous sommes collectivement devenus. Qu’il faudrait défendre, où que je sois, ce que je suis, ce en quoi je crois, ce que je veux préserver pour mes enfants.

La vie, l’histoire de mes enfants adoptés, tardivement accueillis, ne sera pas la mienne. Ils sont urbains, ils ne chassent pas, ne pêchent pas, ont à peine vu une bécasse s’envoler. Le monde qui s’édifie tant bien que mal dans toute cette confusion sera le leur, non le mien. Mais ce que j’ai appris, je leur ai transmis.

Mes enfants ne veulent pas plus que moi de ces sottises, de cet écologisme hors-sol, de ce véganisme de bobos planétaires, de ces couillonnades antispécistes. Ils veulent vivre, et ce ne sera pas facile. Ils n’ont pas besoin de ce buzz dérisoire. Foutez-leur la paix. Ils sauront, sinon, vous le dire.

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