Un fait-divers « les chasseurs » : et si on réfléchissait avant de réagir à chaud ?

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Un nouveau fait-divers prêté à « la chasse » agite les réseaux sociaux : une vidéo montrant des chasseurs tirant des sangliers en plein bourg de Saint-André-de-la-Roche, en banlieue de Nice dans les Alpes-Maritimes. On crie de toute part à l’inconscience « des chasseurs » en général en matière de sécurité, on dénonce ce lobby qui se croit tout permis… bref, on démarre au quart de tour. Ce qu’on voit est choquant, inacceptable, indéniablement. Pour tout dire, tous les chasseurs que j’ai vu s’exprimer sur le sujet sont les premiers à trouver cette scène aberrante. Mais avant de conclure à quoi que ce soit, prenons quelques instants pour nous arrêter plutôt sur le traitement de l’information et sur les questions qu’il est prudent de se poser face à un tel fait-divers.

Les premières informations disponibles

Tout part d’une actualité de BFM Côte d’Azur, titrée « Alpes-Maritimes: des sangliers poursuivis par des chasseurs en pleine ville à Saint-André-de-la-Roche »[1]Alpes-Maritimes: des sangliers poursuivis par des chasseurs en pleine ville à Saint-André-de-la-Roche, BFM Côte d’Azur, 21 octobre 2021 à 12:50  :

Qu’y apprend-on, à chaud ?

  • La scène se déroule en bord de cours d’eau, apparemment en pleine zone urbaine, à quelques mètres d’habitations et d’une voie passante
  • Quelqu’un, qui porte la chasuble orange d’un chasseur, tire à deux reprises en direction de sangliers
  • Bien qu’interpellé par des gens à proximité, il continue à poursuivre ceux-ci, l’arme à la main
  • Un « projectile » est retrouvé dans une cour voisine, d’où la scène aurait été filmée

Qu’est-ce qu’on ne sait pas ? À l’évidence, immédiatement, de quoi il s’agit :

  • Est-ce une « chasse », c’est à dire l’activité de nature privée, de loisir, légale, menée à proximité mais qui aurait « débordé » là où on ne doit en aucun cas l’exercer ?
  • Ou s’agit-il de braconnage totalement hors du cadre légal de la chasse ?
  • Ou est-ce ce qu’on appelle communément une « battue administrative », c’est à dire une opération de destruction d’animaux occasionnant des dégâts, décidée et organisée par l’autorité publique (préfet ou maire), conduite en principe sous l’autorité d’un agent public (lieutenant de louveterie) et qui aurait pris cette tournure aberrante ?

C’est inacceptable dans tous les cas, mais l’immense différence est que les responsables auxquels s’en prendre ne sont pas du tout les mêmes :

  • De simples chasseurs et donc, fatalement « les chasseurs » ? Et donc, inévitablement, « la chasse » ?
  • Des braconniers (des pieds-nickelés qu’on peine à imaginer, mais tout est possible après tout) ?
  • Les services préfectoraux ou le maire responsable d’un arrêté de battue administrative, ou la personne missionnée à cet effet (ainsi que les auteurs des tirs que l’on voit sur la vidéo, mais ils sont censés agir dans le cadre d’instructions strictes) ?

Une battue administrative

Il faut réfréner son envie de tweeter ou de retweeter illico avec indignation pour en apprendre un peu plus. Il s’agit d’une battue administrative. Avec un peu plus de patience (à peine quelques heures), on apprend que cette battue administrative aurait été décidée par le maire de la commune, comme l’indique 20 Minutes[2]Alpes-Maritimes : Des coups de feu en pleine ville lors d’une battue aux sangliers, des habitants choqués, 20 Minutes, 21 octobre 2021, publié à 14h59, mis à jour à 18h08.  :

Sollicitée par 20 Minutes, la préfecture des Alpes-Maritimes fait savoir que cette battue était encadrée par un arrêté municipal.

L’information est finalement confirmée dans Var Matin par la direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes (DDTM) : il s’agissait bien d’une battue administrative dont l’organisation a été confiée au lieutenant de louveterie du secteur[3]Les chasseurs peuvent tirer près des maisons: les autorités expliquent pourquoi ils avaient le droit d’abattre les sangliers dans le centre-ville de Saint-André-de-la-Roche, Var Matin, 23 octobre 2021 .

Le site de la commune confirme que cette opération avait été annoncée, et nous précise sur quel secteur cette battue était organisée[4]Commune de Saint-André-de-la-Roche  :

Il ne s’agit donc pas d’une chasse privée. Pas de chasseurs en plein loisir qui se croient tout permis. Vous me direz : « qu’est-ce que ça change ? » Rien au fait que ce soit à l’évidence inacceptable, mais tout à la réputation de la chasse, dont vous permettrez de me soucier.

Qu’en dire à ce stade ?

Comme je l’ai déjà souligné, cette scène de tirs manifestement improvisés, imprévus, en plein bourg, dans de telles conditions, est choquante, inacceptable pour tout chasseur qui se respecte. Le risque d’un accident dû à une balle perdue ou à un ricochet est beaucoup trop important. L’effet est dévastateur sur la population, qu’elle ait été prévenue ou non. Je n’ai vu, je n’ai lu, aucun de mes collègues chasseurs défendre ce que nous voyons sur cette vidéo, et j’espère ne pas en voir. Les lieutenants de louveterie que j’ai pu voir s’exprimer sur le sujet sont tout aussi indignés par les risques pris par leur collègue et les chasseurs qui l’accompagnaient. Quelles que soient les circonstances, en l’absence évidente d’urgence absolue, cela ne doit pas arriver.

Je n’en sais pas plus sur le cadre exact de cette battue administrative décidée par le maire de Saint-André-de-la-Roche. Je ne suis pas en l’état en mesure de lui imputer une faute. Pas plus qu’à la personne chargée de conduire cette battue. Je ferais juste une observation, à regarder de plus près la topographie des lieux :

J’ai grossièrement entouré dans cette vue l’endroit où cette battue administrative était prévue (en jaune) et celui où la scène en question a été filmée (en rouge).

Je ne comprends pas, jusqu’à plus ample informé, comment une battue autre que de décantonnement (dérangement des sangliers pour les déplacer sur un autre secteur) a pu être organisée dans cette zone péri-urbaine, sinon urbaine. Peut-être y a-t-il des raisons. Mais je comprendrai encore moins comment, si c’est le cas, un participant ou des participants, en principe strictement briefés, ont pu se retrouver hors de l’enceinte, courants derrière les animaux chassés en pleine secteur urbain… pour les y tirer. Qu’est-ce qu’on a fait, là ?

On peut lire, après coup, que selon la préfecture[5]Les chasseurs peuvent tirer près des maisons: les autorités expliquent pourquoi ils avaient le droit d’abattre les sangliers dans le centre-ville de Saint-André-de-la-Roche, Var Matin, 23 octobre 2021  :

Les animaux étaient initialement dans un espace forestier, puis ils sont descendus dans le cours d’eau et ils les ont suivis, raconte Pascal Jobert [directeur départemental des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes (DDTM)]. On se rapprochait de la ville, il y avait des risques de collision avec les animaux. Ils se sont fait surprendre par la direction des sangliers.

[…]

Le lieutenant de louveterie était en charge d’assurer la sécurité entre les tireurs qu’il avait choisi pour l’épauler pour cette opération, ils sont aussi sous sa responsabilité. Ils utilisent une technique de tir fichant, l’orientation du fusil est forcément vers le bas, précise Pascal Jobert. Normalement, ce sont les chasseurs qui font des prélèvements et régulent la population de sangliers. Mais quand on se rapproche de la ville c’est un travail technique.

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils défendre ce qui s’est passé comme tout était normal ? Évoquer le fait que les chasseurs recrutés pour cette battue se sont vus déborder par les sangliers qui ont pris une direction inattendue vers le bourg est inacceptable : vu la configuration du terrain, on imagine mal comment il aurait pu en être autrement. Que leurs consignes les aient autorisés à tirer dans ce cas paraît incroyable. Les couvrir après coup est inacceptable. S’abriter derrière la sécurisation par le tir fichant dans un tel contexte, comme le fait la DDTM est juste aberrant. Si les battues administratives deviennent un truc de cowboys décidé et conduit n’importe comment, nous courrons à la catastrophe. Tout cela est consternant.

Maintenant, il ne suffit pas de crier au scandale, de s’indigner à bon compte. Encore faut-il s’informer plus largement, prendre le recul nécessaire et la mesure du problème des sangliers en zones urbaines, et réfléchir aux solutions.

Allons au fond

Oui, nous avons un problème croissant — qui ne fait que commencer — d’installation de compagnies de sangliers en zones péri-urbaines et même urbaines. Doués de formidables capacités d’adaptation, ces animaux en pleine explosion démographique y trouvent le meilleur des deux mondes : d’un côté, « la plaine » et la forêt, avec leurs ressources alimentaires naturelles mais aussi agricoles, et de l’autre la ville, avec ses jardins et ses pelouses publiques bien arrosées, ses poubelles, toute la débauche de nourriture que nous leur y offrons. La moindre friche, le moindre espace sauvage périrubain offre au sanglier le gîte et le couvert, bien à l’abri dans des zones de quiétude où, comme on le voit ici, il n’est pas chassable (et n’est pas chassé !).

Il va falloir inventer des solutions. Des solutions adultes, non ce genre de sottises ni les gesticulations des antichasse qu’elles ne manquent pas de susciter.

Cela passe d’abord par tout un travail d’étude sur le territoire, ses bouleversements, ses évolutions. Il faut comprendre la fragmentation des territoires, les continuités écologiques barrées, tout ce qui favorise ces entonnoirs qui conduisent des compagnies de sangliers là où il ne faut pas. Il faut comprendre comment elles se déplacent, quand, pourquoi. Il faut des études comme celle, exemplaire, menée autour de la métropole de Toulouse par la fédération des chasseurs de Haute-Garonne dans le cadre du projet Via Fauna[6]Via Fauna, mieux connaître les interactions entre infrastructures linéaires de transports et continuités écologiques, Fédération des chasseurs d’Occitanie . Il faut que cela se traduise en actes. Il faut que tous les acteurs, publics ou privés, travaillent sur ces friches périurbaines, mais aussi ces « zones naturelles » pour citadins[7]La gestion des friches urbaines : une nécessité pour diminuer les dégâts de sangliers, Fédération des chasseurs d’Occitanie, 30 septembre 2021 .

Il faut « réguler », aussi. Mais pas n’importe comment. Mener des battues cette fois sécurisées, certes. Décantonner, quand il faut. Mais aussi adapter nos méthodes pour les sécuriser : étendre sans hésitation le piégeage des sangliers (au diable nos vieilles lubies, ça n’est pas un crime et nous n’en sommes plus à ces pudeurs de vierges !), mobiliser la chasse à l’arc plus sécurisante (comme l’a fait par exemple la municipalité de Saint-Brieuc grâce à une convention passée avec la Fédération des chasseurs des Côtes-d’Armor[8]À Saint-Brieuc, chasses à l’arc pour réguler la population de sangliers, Le Télégramme, 22 octobre 2021 ), évoluer vers des chasses plus adaptées à ces contextes comme la poussée silencieuse (ça ne tuera pas pour autant la chasse aux chiens courants, bon sang !)

Il faut encore que l’impasse actuelle de la gestion des dégâts du grand gibier avance enfin, que cela plaise ou non à un gouvernement opposé à toute éventuelle taxe imposée aux zones non chassables où nos sangliers se cantonnent, et dont nous payons pourtant les dégâts agricoles. Il faut que la collectivité, que les particuliers, assument leurs désirs, leur « écologisme » plus ou moins bien compris.

Il faudrait que nous fassions oeuvre d’intelligence collective, au lieu de nous opposer stérilement ou de nous précipiter sur la moindre actu qui fait le buzz pour crier au scandale ou gesticuler. Autant dire que ce n’est, hélas, pas gagné par les temps qui courent.

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