Le cerf de Corse, petite histoire d’une sous-espèce insulaire du cerf élaphe

Cervus Elaphus Corsicanus[1]Cerf de Corse (Français) – Cervus elaphus corsicanus, INPN , le cerf de Corse est une sous-espèce insulaire du cerf élaphe européen. Sa population actuelle est issue d’une réintroduction de cerfs de Sardaigne, lancée en 1985. Mais son histoire est bien plus ancienne…

Les premières traces archéologiques de la présence du cerf en Corse ne remontent qu’à la période médiévale. Leur analyse génétique a montré qu’il appartenait à la même sous-espèce que les cerfs de Sardaigne, eux-mêmes issus de la péninsule italienne, ce qui conduit à situer la première introduction du cerf en Corse à la période néolithique, depuis la Sardaigne ou le continent[2]Phylogeography of the Tyrrhenian red deer (Cervus elaphus corsicanus) resolved using ancient DNA of radiocarbon-dated subfossils, K. Doan et al., Scientific Reports, volume 7, 2017 [3]Island Populations, Human Introductions and the Limitations of Genetic Analyses: the Case of the Sardinian Red Deer (Cervus elaphus corsicanus), F. E. Zachos & G. B. Hartl, Human Evolution, volume 21, 2006 . Elle aurait donc déjà été le fait de l’homme.

Les rares spécimens naturalisés et surtout d’anciennes descriptions de ces cerfs corses, comme celle faite par Buffon dans son Histoire Naturelle, révèlent que Cervus Elaphus Corsicanus se différenciait de son cousin continental par des bois moins développés (4 andouillers au plus), un poids moindre (100 à 110 kg pour un mâle contre 150 à 200 kg pour Cervus elaphus), une taille plus petite (moins de 110 cm au garrot pour les mâles contre 130 à 150 cm) et des jambes plus courtes en proportions de la tête[4]Réintroduction du cerf de Corse (Cervus elaphus corsicanus) en Corse : problématique et état actuel de l’opération, Dominique Dubray, Revue d’écologie – la Terre et la Vie, 1990 . Ces 2 derniers traits sont typiques d’une évolution propre aux milieux insulaires, qui peut se faire sur une période de seulement quelques milliers d’années, comme on a pu le mesurer dans le cas des cerfs présents autrefois sur l’île de Jersey, dans la Manche[5]Rapid dwarfing of red deer on Jersey in the Last Interglacial, A. M. Lister, Nature, volume 342, 1989 .

Ce premier cerf corse a disparu de l’île à la fin des années 1960, au terme d’une régression entamée à la fin du XIXe siècle, victime de la réduction et de la fragmentation de son habitat, d’une chasse insuffisamment contrôlée et du braconnage[6]Cervus Elaphus Corsicanus – Origines, onedeertwoislands.eu, site du projet européen LIFE One deer two Islands : Conservation du Cerf Corso-Sarde en Sardaigne et Corse. . Dans les années 1940 en particulier, l’espèce aurait été fortement réduite par les troupes d’occupation italiennes, puis par les alliés, notamment américains. La destruction du maquis au profit de la vigne dans la plaine orientale, le long du littoral Est de l’île, aurait ensuite été déterminante[7]Réintroduction du cerf de Corse (Cervus elaphus corsicanus) en Corse : problématique et état actuel de l’opération, Dominique Dubray, Revue d’écologie – la Terre et la Vie, 1990 .

Une tentative de sauver l’espèce a lieu en 1959, avec la création d’une réserve de chasse et de faune sauvage (c’est à dire non chassée) destinée à abriter un noyau de reproduction de 3 cerfs et 5 biches. Mais on échoue alors à capturer de quoi la peupler. Force est de constater officiellement la disparition des derniers cerfs de Corse en 1971, sans doute victimes de braconnage[8]Réintroduction du cerf de Corse (Cervus elaphus corsicanus) en Corse : problématique et état actuel de l’opération, Dominique Dubray, Revue d’écologie – la Terre et la Vie, 1990 .

L’idée d’une réintroduction à partir des cerfs sardes est rapidement émise. Elle ne se concrétise cependant que bien plus tard, en 1985. Le projet de réintroduction, associant le Parc Naturel Régional de Corse et ses homologues sardes, financé avec les fonds européens du programme LIFE, a commencé par un noyau de cerf et de biches sardes reproducteurs, en enclos, entre 1985 et 1994.

Une série de lâchers en pleine nature de plus de 300 cerfs et biches se sont succédé à partir de 1998 dans cinq microrégions (Caccia-Ghjunsani, Venacais, Fium’Orbu, Alta Rocca, Dui Sorru-Dui Sevi). La population de cerfs corses est estimée à au moins 1 400 individus, sur 53 000 hectares, soit 6 % du territoire.[9]Trente ans de suivi du cerf en France (1985-2015), Faune Sauvage, ONCF, n° 314, 1er trimestre 2017 . Une population suffisamment importante pour poser aujourd’hui des problèmes de dégâts agricoles, sur le vignoble[10]Merci à Fabien Abraini @Fabiensapiens qui m’a signalé cette question : Les cerfs, un cauchemar pour agriculteurs et troupeaux en Corse, Corse Matin, 2 mars 2019, ainsi que Motion déposée par Jean-Jacques Lucchini au nom du groupe Femu a Corsica, Collectivité de Xorse, juin 2019

Classé « espèce en danger » par l’UICN, inscrit à l’annexe II de la convention de Berne[11]Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, eur-lex.europa.eu et à l’annexe IV de la Directive européenne Habitats[12]Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, eur-lex.europa.eu dans les espèces protégées dont la chasse est interdite, le cerf de Corse ne bénéficie cependant aujourd’hui d’aucun statut de protection officiel. Théoriquement chassable en tant que cerf élaphe, cette sous-espèce non reconnue par l’État français est placée sous plan de chasse zéro, reconduit chaque année, ce qui revient à en interdire la chasse mais ne protège pas son habitat. Une demande de classement en espèce protégée, soutenue par les fédérations des chasseurs, a été faite en 2017. Elle semble aujourd’hui perdue dans les tuyaux[13]Le cerf de Corse, u cervu corsu, en reconquête de son territoire, ulevante.fr, 24 janvier 2015 (alors qu’une demande similaire pour le Mouflon Corse a abouti, elle, en 2019)…

Notes & références

Notes & références
1 Cerf de Corse (Français) – Cervus elaphus corsicanus, INPN
2 Phylogeography of the Tyrrhenian red deer (Cervus elaphus corsicanus) resolved using ancient DNA of radiocarbon-dated subfossils, K. Doan et al., Scientific Reports, volume 7, 2017
3 Island Populations, Human Introductions and the Limitations of Genetic Analyses: the Case of the Sardinian Red Deer (Cervus elaphus corsicanus), F. E. Zachos & G. B. Hartl, Human Evolution, volume 21, 2006
4, 7, 8 Réintroduction du cerf de Corse (Cervus elaphus corsicanus) en Corse : problématique et état actuel de l’opération, Dominique Dubray, Revue d’écologie – la Terre et la Vie, 1990
5 Rapid dwarfing of red deer on Jersey in the Last Interglacial, A. M. Lister, Nature, volume 342, 1989
6 Cervus Elaphus Corsicanus – Origines, onedeertwoislands.eu, site du projet européen LIFE One deer two Islands : Conservation du Cerf Corso-Sarde en Sardaigne et Corse.
9 Trente ans de suivi du cerf en France (1985-2015), Faune Sauvage, ONCF, n° 314, 1er trimestre 2017
10 Merci à Fabien Abraini @Fabiensapiens qui m’a signalé cette question : Les cerfs, un cauchemar pour agriculteurs et troupeaux en Corse, Corse Matin, 2 mars 2019, ainsi que Motion déposée par Jean-Jacques Lucchini au nom du groupe Femu a Corsica, Collectivité de Xorse, juin 2019
11 Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, eur-lex.europa.eu
12 Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, eur-lex.europa.eu
13 Le cerf de Corse, u cervu corsu, en reconquête de son territoire, ulevante.fr, 24 janvier 2015

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