Ni chagrin, ni conscience, les cerfs ne sont pas des Bambi

Un cerf qui pleure sa compagne assassinée par d’affreux chasseurs ? En aucun cas. Cette vidéo[1]Facebook Will Harris, 30 novembre 2020 qui refait régulièrement surface sur les réseaux sociaux suscite hélas d’énormes confusions, typiques de l’actuelle dérive animaliste anthromorphisante. Il n’y a ici ni chagrin, ni conscience. On explique ?

Comme on le constate sur la publication originale[2]Facebook Will Harris, 30 novembre 2020 , ces images ont été filmées en Amérique du Nord en novembre, en pleine période de reproduction des cerfs de Virginie. Ce que l’on y voit n’est rien de plus qu’un cerf en rut cherchant à s’accoupler.

Il ne s’agit pas d’un couple, cette biche n’est pas la « compagne » du mâle. Les cerfs ne forment de couples que dans les dessins animés de Walt Disney : dans la réalité, mâles et femelles vivent séparément la quasi-totalité de l’année, en hardes distincts.


Harde de biches

Harde de cerfs (mâles)

La cellule familiale chez les cerfs se limite à la biche, son faon de l’année et celui de l’année précédente (daguet ou bichette) avant qu’il ne s’émancipe. Les mâles sont indifférents à leurs conquêtes d’un instant, comme à leur progéniture…


« Le trio matriarcal biche-faon-jeune compose la cellule de base de la structure du cerf élaphe[3]Cerf, qui es tu ?, Blog Dehondt-Desmets, 3 avril 2013  ».

Ce mâle de passage a donc simplement été attiré par les phéromones émises par la biche en chaleur fraîchement abattue, encore perceptibles. De façon très caractéristique, on le voit sentir la vulve de celle-ci. On le voit également « muser », c’est à dire humer l’odeur émise par la biche en retroussant la lèvre supérieure, pour conduire celle-ci vers son organe de Jacobson situé dans la cavité nasale.


Les phéromones émises par la biche en chaleur, encore perceptibles, attirent le cerf

Le cerf « muse » pour mieux percevoir les odeurs de la biche en chaleur

Ce comportement, appelé « flehmen », est courant chez de nombreux mammifères. L’organe de Jacobson ou organe voméronasal, complément des bulbes olfactifs, joue un rôle clé dans la reproduction des cervidés en leur permettant d’identifier le moment où les biches sont en chaleur.


Le « flehmen ».

Ici, le cerf n’est pas en train de tenter de ranimer la #biche morte, ni de lui dire « Hé, qu’est-ce qu’il t’arrive ? » : il cherche instinctivement à la monter, rien de plus. Mais ça se passe pas tout à fait comme d’habitude. Obscurément dépité par l’échec de sa tentative, il finit par s’éloigner à la recherche d’une autre biche en chaleur, la précédente étant aussitôt oubliée…


La biche est hélas insensible aux avances…

Une de perdue, dix de retrouvée…

Qu’il ne manifeste pas plus de crainte à quelques mètres à peine du chasseur qui filme la scène et de sa petite fille n’est pas étonnant : sous l’effet des hormones sexuelles, le comportement du cerf est profondément perturbé en période de rut. Obsédé par l’accouplement, le cerf s’alimente à peine en période de reproduction, devient beaucoup moins craintif et manifeste à l’occasion des comportements… inattendus.


La frustration mène à tout…
Même une reproduction de biche en plastique…

Il n’y a donc ici aucune compassion, aucune empathie, aucune « sentience ». Uniquement l’expression d’un comportement instinctif. Le reste n’est que projection sur l’animal de sentiments purement humains : de l’anthropomorphisme.

Quant aux reproches d’insensibilité, de cruauté, faits à l’égard de ce chasseur et de sa fille, il suffit de se reporter à la publication originale pour constater qu’ils étaient simplement conscients d’assister à une expérience peu habituelle et marquante, mais naturelle. Et si ce chasseur n’en a pas profité pour tirer ce cerf, comme s’étonnent certains, c’est qu’il n’en avait ni désir ni besoin, ayant déjà prélevé un autre cerf. Vous trouverez sur son compte d’autres vidéos, témoignant d’ailleurs qu’il aime autant observer que prélever.[4]Facebook Will Harris, 30 novembre 2020 .

Parenthèse : oui, j’ai écris « prélever », et non « tuer » : ce n’est ni un euphémisme ni une gêne à l’idée de reconnaître que nous tuons des animaux. Simplement l’expression exacte d’une réalité : nous prélevons de façon mesurée, sans menacer les espèces chassées. Ce qui est ici, en outre, nécessaire : la régulation des cervidés est, rappelons-le encore une fois, une nécessité pour préserver l’équilibre faune-forêt (que ce soit pour les besoins de d’exploitation forestière ou non)[5]La chasse, un prérequis pour planter les forêts de demain, ONF, 27 avril 2021 .

Enfin, oui, la petite fille de ce chasseur chasse elle aussi, avec son père. Mon Dieu, une enfant, qu’avons-nous dit là ? En réalité, cette famille pratique simplement une activité profondément naturelle, qui ne doit rien à la cruauté ou quoi que soit de cet ordre.


Extrait des commentaires de la vidéo originale de Will Harris, montrant sa fille et le cerf qu’elle avait elle-même prélevé ce jour-là

Pour conclure : les cerfs ne sont pas « Bambi ». Quelles que soient les dérives antispécistes sur la « sentience », les animaux ne partagent pas notre degré de conscience. La question de la « conscience animale » est un champ de recherche fraîchement ouvert, complexe, hélas victime de multiples confusions anthropomorphistes. Les exemples d’incompréhension de nombreuses réalités naturelles pourtant très simples sont hélas légion sur les réseaux sociaux. Le témoignage d’une société largement coupée de la nature qu’elle fantasme, et à laquelle tout est à (ré)-expliquer…

Notes & références

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