Pantes, matolles et tenderie : la partie n’est peut-être pas terminée

La suspension par le Conseil d’État des arrêtés d’ouvertures 2021-2022 des chasses aux pantes et aux matoles, ainsi que de la tenderie ne siffle pas la fin la partie. Outre qu’il ne se prononcera sur le fond que dans plusieurs mois, le motif avancé par le juge administratif laisse en effet entrevoir la possibilité d’une véritable réponse sur le fond. Mais qu’en sera-t-il, avec notre actuelle ministre de tutelle… antichasse ?

La chasse aux pantes et aux matoles représente moins de 0,3 % de la mortalité naturelle de l’alouette des champs en France.

Rappelons tout d’abord que l’impact de ces chasses traditionnelles régionales sur les espèces concernées — grives, merles, alouettes des champs, vanneaux huppés et pluviers dorés — n’est pas en cause. Conformément à la législation européenne (Directive Oiseaux), les quotas de prélèvements imposés à ces chasses garantissent en effet que ceux-ci ne pèsent pas sur leur démographie : inférieur au seuil de 1% de leur mortalité naturelle, ces prélèvements ne constituent pas une mortalité additive, qui s’ajouterait aux autres causes de mortalité de ces oiseaux, mais une mortalité compensatoire, qui s’y substitue. En d’autres termes, les oiseaux prélevés n’auraient dans tous les cas pas atteint le printemps ni participé à la reproduction. Ces chasses aux prélèvements infimes à l’échelle des populations concernées (que ce soit les 30 pluviers dorés, les 1 200 vanneaux huppés, les 5 800 grives et merles ou les 106 500 alouettes des champs) ne constituent donc aucunement une menace pour la biodiversité.

La question ne porte en réalité que sur une subtilité juridique : conformément au régime dérogatoire prévu par la Directive Oiseaux en matière de piégeage, l’autorisation de ces chasses est soumise, entre autres conditions, à l’exigence d’être motivée. Or, la Cour de justice européenne a modifié sa position au printemps dernier, et considère aujourd’hui que leur caractère traditionnel n’est plus en soi un motif suffisant pour relever de « l’exploitation judicieuse » autorisée par la Directive. Il faut désormais expliciter l’absence d’autres solutions dites « satisfaisantes » qui pourraient les remplacer.

« Cette pratique va s’estomper d’elle-même […] Qu’on nous laisse mourir tranquille. »

On peut, me semble-t-il à raison, considérer que cette position est passablement spécieuse : tout l’enjeu réside en effet dans la préservation de ces modes de chasse pour eux-mêmes, en ce qu’ils sont des éléments du patrimoine culturel immatériel de nos régions. Dès lors, quelle autre « solution satisfaisante », quel mode de chasse alternatif pourrait-il les remplacer ? Il ne s’agit pas de prélever des grives, des merles, des alouettes etc. pour le fait d’en prélever. Il s’agit de préserver la pratique de ces modes de piégeage qui sont autant de savoir-faire locaux, transmis de génération en génération au fil des siècles. Et si, comme on le dit par ailleurs, ces chasses sont vouées à s’éteindre d’elles-mêmes, faute d’intérêt de la part des nouvelles générations de chasseurs, qu’on respecte au moins leurs derniers passionnés !

Mais soit. Dans le jeu de dupe mené par Madame Barbara Pompili, la ministre de contre la chasse que nous a imposé Emmanuel Macron, force était d’en passer par là : justifier ce qui relève pratiquement de l’évidence. La Fédération nationale des chasseurs a donc veillé à ce que les arrêtés d’ouverture pris pour la saison 2021-2022 soient cette fois dûment motivés, et que l’absence d’autre solution satisfaisante soit aussi clairement établie que possible[1]Voir par exemple l’annexe à l’arrêté relatif à la tenderie (lacs) aux grives et aux merles noirs dans le département des Ardennes pour la campagne 2021-2022, Ministère de la Transition écologique, Commission nationale de la chasse et de la faune sauvage, 23 septembre 2021 .

Ces arrêtés d’ouverture ayant été illico attaqués devant le Conseil d’État par les fanatiques antispécistes de One Voice Animal et une LPO nationale devenue tout aussi fanatiquement anti-chasse, on se serait attendu à ce que celui-ci se penche avec toute l’attention nécessaire sur ces nouveaux éléments de motivation. Or, à lire la décision rendue par le juge administratif, cela n’a pas du tout été le cas !

L’ordonnance publiée hier[2]Ordonnance du 25 octobre 2021, pantes, matoles et tenderie ignore tout simplement les motifs et justifications apportées. Le juge a choisi de s’en tenir aux seuls arrêtés de 1989 qui fixe le cadre réglementaire dans lequel sont pris les arrêtés d’ouverture annuels. De fait, ayant été adoptés bien avant le récent changement de jurisprudence de la Cour de justice européenne, ces arrêtés-cadres s’en tiennent bien évidemment à avancer comme motif suffisant le caractère traditionnel des chasses aux pantes, à la matole, et de la tenderie. Une motivation qui a entièrement satisfait le juge européen pendant 30 ans. Certes, les règles du jeu ont changé, mais la réponse aux nouvelles exigences de la Cour se trouvait bien dans les arrêtés d’ouvertures qui n’ont pas été examinés…

Le Conseil d’Etat a jugé, dans ses décisions du 6 août 2021, que le motif de la dérogation prévue par les arrêtés du 17 août 1989 cités au point 9 résidait dans l’objectif de préserver l’utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels qui, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, ne saurait à lui seul constituer une démonstration suffisante de l’absence d’autre solution satisfaisante au sens de l’article 9 de la directive du 30 novembre 2009.

Si la ministre de la transition écologique soutient que les arrêtés litigieux, par leur motivation, ne se borneraient pas à invoquer l’usage traditionnel des modes et moyens de chasse mais détaillerait les motifs qui conduisent à regarder les quotas de prélèvement retenus comme répondant aux exigences posées par l’article 9 de la directive, le moyen tiré de ce que ces arrêtés auraient été pris sur le fondement de dispositions réglementaires illégales est de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur sa légalité.

Vous me direz que le Conseil d’État n’a statué pour l’instant que dans l’urgence, et que tout cela sera examiné sur le fond (dans plusieurs mois). À moins qu’il ne s’en tienne à nouveau au même raisonnement.

Alors, que faire ? L’évidence ne serait-elle pas de réviser ces arrêtés cadres ? De sortir enfin nos chasses traditionnelles régionales de cet état d’insécurité juridique ? D’y faire figurer enfin toutes les justifications requises, à savoir l’impossibilité d’autres « solutions satisfaisantes », dûment étayées ? C’est, me semble-t-il, ce qu’un ministre de tutelle de la chasse, devrait s’atteler à faire au plus vite, pour « sortir par le haut du débat[3]Selon les propos tenus par… Barbara Pompili elle-même. Mais hélas certainement pas, dans son esprit, comme nous le suggérons ici. Lire Le gouvernement veut ré-autoriser des chasses traditionnelles d’oiseaux, Le Parisien, 15 septembre 2021  ».

Ah, pardon, j’oubliais. Barbara Pompili…

Notes & références

Notes & références
1 Voir par exemple l’annexe à l’arrêté relatif à la tenderie (lacs) aux grives et aux merles noirs dans le département des Ardennes pour la campagne 2021-2022, Ministère de la Transition écologique, Commission nationale de la chasse et de la faune sauvage, 23 septembre 2021
2 Ordonnance du 25 octobre 2021, pantes, matoles et tenderie
3 Selon les propos tenus par… Barbara Pompili elle-même. Mais hélas certainement pas, dans son esprit, comme nous le suggérons ici. Lire Le gouvernement veut ré-autoriser des chasses traditionnelles d’oiseaux, Le Parisien, 15 septembre 2021

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