Tétras-lyre et lagopède alpin: une chasse strictement limitée et encadrée, qui motive la préservation de ces espèces

Sommaire

La chasse très controversée du Tétras-lyre et du Lagopède alpin dans les Alpes est un excellent exemple d’une problématique contre-intuitive que le grand public peine à entendre : interdire la chasse d’espèces en déclin n’est pas nécessairement utile pour enrayer celui-ci, et peut même s’avérer contre-productif. On explique ?

Une chasse aussi limitée que strictement encadrée, qui ne nuit pas à ces espèces

Des consultations publiques souvent mal comprises

À l’issue de la consultation publique de rigueur, et en dépit d’une opposition massivement exprimée (seulement 29 avis favorables sur 1156 recueillis)[1]Motif de décision – Campagne ouverture et clôture chasse 2022/2023, Préfecture des Hautes-Alpes [2]Synthèse des observations – Campagne ouverture et clôture chasse – 2022/2023, Préfecture des Hautes-Alpes , la préfecture des Hautes-Alpes a publié mercredi 22 juin l’arrêté général prévoyant la possible ouverture de la chasse du tétras-lyre et du lagopède alpin à l’automne, pour la saison 2022-2023[3]Arrêté préfectoral – Campagne ouverture et clôture Chasse – 2022/2023, Préfecture des Hautes-Alpes . Ce qui ne va pas manquer de déchaîner les foudres des opposants de principe à la chasse, LPO en tête. Mais en réalité, l’ouverture effective de la chasse de ces deux espèces ne sera décidée qu’en septembre, uniquement là où leurs indices de reproduction établi cet été le permettent, et de manière aussi limitée que strictement encadrée. La chasse de ces espèces en déclin est en effet aujourd’hui très loin d’être aussi libre que bon nombre de gens ne s’en rendent compte.

Précision en passant sur les consultations publiques[4]Le cadre de la participation du public au titre du code de l’environnement, ecologie.gouv.fr, 7 février 2019
Les consultations publiques en matière environnementale* ne sont ni des votes ni des sondages, ni des recueils d’opinion. Ce qui est soumis à consultation a déjà été évalué et déterminé par les acteurs compétents (en Commission départementale ou nationale de la chasse et de la faune sauvage, par exemple, comme ici). Elles n’ont pour rôle que de recueillir d’éventuels avis portant très précisément sur le dispositif soumis à consultation et ses modalités, pour les corriger le cas échéant, en pratique à la marge. Ce qui explique que les avis généraux d’opposition à la chasse, ou ceux portant eux aussi de manière générale sur l’état de conservation d’une espèce, ou ceux s’opposant à ce qui déjà inscrit dans la loi (code de l’environnement etc.) soit systématiquement classés comme non recevables.
Le malentendu est hélas général sur ce système de consultation, qui ne fait à l’usage qu’aggraver les tensions sur ces sujets, au lieu de les apaiser.

Un plan de gestion rigoureux


Zonage de la gestion des plans de chasse du tétras-lyre dans le département des Hautes-Alpes (2022-2023)[5]Plan de Gestion Cynégétique Galliformes de montagne – Hautes-Alpes, saison 2022-2023, Préfecture des Hautes-Alpes

Cette chasse d’espèces en déclin n’est en effet possible que parce qu’elle est aujourd’hui gérée de manière adaptée à leur état de conservation, via les schémas départementaux de gestion cynégétique[6]Schéma Départemental de Gestion Cynégétique – Hautes-Alpes, fédération départementale des chasseurs des Hautes-Alpes , ainsi qu’un plan annuel de gestion cynégétique des galliformes de montagne[7]Plan de Gestion Cynégétique Galliformes de montagne – Hautes-Alpes, saison 2022-2023, Préfecture des Hautes-Alpes  :

  • Elle est exclue des réserves & parcs naturels.
  • Elle est limitée aux territoires où les populations de tétras-lyre et de lagopède alpin sont stables.
  • La période de chasse est réduite, de fin septembre au 11 novembre, 4 jours par semaine
  • Elle ne peut être pratiquée qu’individuellement ou en équipe de deux fusils.
  • Le tir des poules tétras-lyre et des jeunes mâles (non maillés) est interdit.
  • Les prélèvements sont limités à un oiseau par jour et par chasseur.
  • Ils sont strictement limités et suivis par un système de bracelets de marquage et de carnet de prélèvements. Le responsable de chaque territoire doit en particulier informer le jour même la fédération départementale des chasseurs de chaque prélèvement réalisé.

Des quotas de prélèvements adaptés, minimes… ou nuls


Prélèvements de tétras-lyre dans le département des Alpes de Haute-Provence[8]Plan de gestion cynégétique galliformes de montagne pour le département des Alpes de Haute-Provence, Préfecture des Alpes de Haute-Provence

Les quotas de prélèvements autorisés (ou non) en septembre dépendent des indices de reproduction établis à l’issue de comptages effectué en été par l’Observatoire des galliformes de montagne[9]Observatoire des Galliformes de Montagne (OGM) qui regroupe tous les acteurs concernés : gestionnaires cynégétiques mais aussi parcs naturels régionaux, conservatoire d’espèces naturels, groupe de recherche et d’information sur la faune des écosystème de montagne, Office français de la biodiversité (OFB), Office national des forêt (ONF), parcs nationaux…

Le protocole de suivi de reproduction utilisé a été validé par l’Office français de la biodiversité (OFB). Ce recours aux données de l’OGM et à ce protocole répond au motif des annulations des arrêtés des années précédentes par le tribunal administratif de Marseille.

Enfin, les éventuels quotas autorisés, déterminés précisément en fonction des indices de reproduction constatés territoire par territoire, sont en pratique infimes comme le montre l’exemple du département des Alpes de Haute Provence :


Quotas de tétras-lyres pouvant être prélevés selon les indices de reproduction constatés, département des Alpes de Haute-Provence

Les véritables facteurs clés de déclin des galliformes de montagne


État et priorisation des menaces pesant sur le tétras-lyre dans les Alpes, selon le Plan d’action pour sa conservation[10]Plan d’actions pour la conservation du Tétras-lyre et de ses habitats 2017-2022, auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr

L’habitat du tétras-lyre : ni trop ouvert, ni trop fermé[11]Pastoralisme et tétras-lyre, Faune Sauvage, ONCFS, n° 291, 2e trimestre 2011

Il est bien établi qu’aujourd’hui, ce n’est pas la chasse, extrêmement limitée, du lagopède alpin et du tétras-lyre qui entraîne le déclin de ces espèces[12]Voir la synthèse faite par le naturaliste Guillaume Calu dans Le Tétras-lyre sonne la discorde dans les Alpes, Louernos Nature, 15 avril 2021 . Celui-ci est en effet avant tout dû à la dégradation de leur habitat. Les causes de cette dégradation de l’habitat sont multiples[13]Plan d’actions pour la conservation du Tétras-lyre et de ses habitats 2017-2022, auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr  :

  • Pâturage excessif sur certains territoires[14]Pastoralisme et tétras-lyre, Faune Sauvage, ONCFS, n° 291, 2e trimestre 2011
  • Mais aussi à l’inverse, dans d’autres, déprise pastorale entraînant la reforestation et la fermeture des milieux[15]Pastoralisme et tétras-lyre, Faune Sauvage, ONCFS, n° 291, 2e trimestre 2011
  • Réduction et fragmentation de l’habitat par les aménagements touristiques, en particulier liés au ski.
  • Dérangement sur les zones d’hivernage dû à ces activités de tourisme, compromettant la survie des individus
  • Impact de la prédation (par le renard, la martre des pins mais aussi le sanglier, friand de couvées et de nichées) : celle-ci peut devenir critique sur des populations fragilisées.

Il s’y ajoute à présent l’effet du réchauffement climatique, qui force ces espèces à trouver de nouveaux territoires, plus en altitude.

Interdire la chasse ? Une mesure aussi facile qu’improductive


Exemple des prélèvements de tétras-lyre dans le département des Alpes-Maritimes[16]Faune et chasse: le tétras-lyre, Fédération départementale des chasseurs des Alpes-Maritimes

Il peut sembler évident, dans le cas de populations en déclin, de s’en prendre au facteur de mortalité le plus facile à éliminer, la chasse, en suspendant ou en interdisant celle-ci. Sauf que :

  • Compte tenu de la faiblesse des prélèvements et de leur gestion selon l’état de la reproduction, comme expliqué plus haut, un arrêt de la chasse du lagopède alpin et du tétras-lyre n’aurait quasiment aucun impact. Rappelons que les quotas sont nuls là et quand l’indice de reproduction est insuffisant : la chasse gère ici son propre moratoire, au cas par cas, saison par saison, territoire par territoire, quand il y a lieu.
  • Les fédérations, associations et sociétés de chasse concernées sont fortement impliquées dans les actions de terrain nécessaires à la préservation du tétras-lyre et du lagopède alpin, dans le cadre du plan d’action évoqué plus haut : comptages et suivi, débroussaillage pour lutter contre la fermeture des milieux, etc.[17]Outre le Plan d’action, voire par exemple Le Tétras-lyre, garant de l’identité du Vercors et du Trièves,Fédération départementale des chasseurs de l’Isère [18]Agrifaune Belledonne. Pour un pastoralisme durable et pour la conservation du Tétras-lyre,Agrifaune

Comme souvent en matière de chasse et d’espèces par ailleurs en déclin, s’opposent :

  • Une approche « puriste » exigeant la mise sous cloche des espèces en déclin, mais se souciant beaucoup moins des actions de terrain essentielles, faute de moyens bien souvent il est vrai.
  • Une approche résolument pragmatique, qui sait admettre qu’on exploite avec mesure, de façon très limitée, une espèce en déclin, si cela motive les actions de terrains nécessaires à sa préservation. En particulier de la part d’acteurs qui, comme c’est le cas des chasseurs, peuvent mobiliser les ressources nécessaires, disposent des structures et de l’organisation nécessaires, et sont les premiers conscients de la nécessité de préserver leur gibier.

L’intérêt de poursuivre de la chasse, strictement mesurée, d’une espèce en déclin est évidemment contre-intuitif. Il est avéré dès lors qu’il s’agit de la contrepartie de l’investissement des chasseurs dans les mesures clés de préservation de celle-ci. S’il est difficile à faire entendre à une opinion publique saturée de discours anti-chasse. Il n’en est pas moins réel.

Notes & références

Notes & références
1 Motif de décision – Campagne ouverture et clôture chasse 2022/2023, Préfecture des Hautes-Alpes
2 Synthèse des observations – Campagne ouverture et clôture chasse – 2022/2023, Préfecture des Hautes-Alpes
3 Arrêté préfectoral – Campagne ouverture et clôture Chasse – 2022/2023, Préfecture des Hautes-Alpes
4 Le cadre de la participation du public au titre du code de l’environnement, ecologie.gouv.fr, 7 février 2019
5, 7 Plan de Gestion Cynégétique Galliformes de montagne – Hautes-Alpes, saison 2022-2023, Préfecture des Hautes-Alpes
6 Schéma Départemental de Gestion Cynégétique – Hautes-Alpes, fédération départementale des chasseurs des Hautes-Alpes
8 Plan de gestion cynégétique galliformes de montagne pour le département des Alpes de Haute-Provence, Préfecture des Alpes de Haute-Provence
9 Observatoire des Galliformes de Montagne
10, 13 Plan d’actions pour la conservation du Tétras-lyre et de ses habitats 2017-2022, auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr
11, 14, 15 Pastoralisme et tétras-lyre, Faune Sauvage, ONCFS, n° 291, 2e trimestre 2011
12 Voir la synthèse faite par le naturaliste Guillaume Calu dans Le Tétras-lyre sonne la discorde dans les Alpes, Louernos Nature, 15 avril 2021
16 Faune et chasse: le tétras-lyre, Fédération départementale des chasseurs des Alpes-Maritimes
17 Outre le Plan d’action, voire par exemple Le Tétras-lyre, garant de l’identité du Vercors et du Trièves,Fédération départementale des chasseurs de l’Isère
18 Agrifaune Belledonne. Pour un pastoralisme durable et pour la conservation du Tétras-lyre,Agrifaune

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