Attaques de loups sur l’homme, mesurer le risque ?

Attaques de loups sur l’homme en France : plutôt qu’agiter régulièrement des faits-divers, on peut en mesurer rationnellement le risque. Un risque non nul, mais très faible, qu’on peut surtout associer à des situations spécifiques, et donc au moins en partie prévenir.

Je vais simplement reprendre ici une source de référence récente : l’étude publiée en 2021 par John Linnel, du Norwegian Institute for Nature Research. Vous la trouverez ici (en anglais) : Wolf attacks on humans: an update for 2002–2020.

Cette étude s’appuie sur la littérature scientifique et sur l’ensemble des sources en ligne (médias etc) disponibles, ainsi que les retours directs d’experts locaux, sur les attaques de loups sur l’homme au cours de la période 2002–2020 en Eurasie, Asie et Amérique du Nord. Elle précise enfin clairement ses limites: c’est une évaluation, assez sûre pour l’Amérique du Nord et l’Europe où les sources sont abondantes et peuvent être bien recoupées. Elle sous-estime probablement le nombre d’attaques dans le reste de l’Eurasie.

Elle s’attache à différencier, pour chaque attaque, en particulier :

  • si elle est attribuable ou non à la rage
  • si elle a eu lieu ou non dans un contexte de « chasse » au loup
  • si elle a eu lieu dans un milieu où les proies sauvages sont rares ou non
  • si elle coïncide avec des sources de nourriture d’origine anthropique autres que le bétail: déchets alimentaires, nourrissage, etc. créant une situation « à risque » en mettant à proximité hommes et loup
  • s’il s’agit bien du loup, et non de chiens ou autres

Répartition par type et par pays des 489 attaques de loups sur l’homme recensées pour la période 2002-2020

Quels sont les résultats ? Premier constat, le risque d’attaque de loups sur l’homme n’est pas nul en Europe & Amérique du Nord, mais il est extrêmement faible: 10 attaques en tout en 18 ans, dont 2 mortelles, pour des populations de 60 000 loups en Amérique du Nord et d’au moins 15 000 en Europe.

Deux attaques sont recensées en Amérique du nord: une aux USA & une au Canada, mortelles et non liées à la rage. Huit autres attaques, non mortelles, sont recensées en Europe occidentale :

  • 1 seule liée à la rage, en Croatie
  • 4 en Pologne, 1 en Italie, 1 au Kosovo, 1 en Macédoine

En dehors de l’Europe occidentale & de l’Amérique du Nord, ces attaques sont autrement plus fréquentes, mais avant tout là où elles sont principalement liées à la rage. Au-delà des chiffres, c’est en effet la typologie des contextes qui apparaît, qui est essentielle.

Sur 489 attaques recensées au total par cette étude :

  • 77,7% sont liées à la rage (dont l’Europe occidentale est indemne)
  • 13,7%, « prédatrices », sont à l’initiative du loup
  • 8,5% sont « défensives », en situation de chasse au loup ou similaire.

Dans quels contextes l’attaque, prédatrice, est-elle à l’initiative du loup ? La majeure partie, en Inde & Iran en particulier, a lieu dans des zones de communautés rurales pauvres, où les proies sauvages sont rares & le bétail peu abondant. Les loups y dépendent fortement pour leur survie des déchets laissés par les humains, du charognage et du peu de bétail existant. Ils se retrouvent en contact étroit et fréquent avec les communautés paysannes, et notamment les enfants. Une situation rare en France…

Les cas d’attaques prédatrices recensés en Amérique du Nord relèvent d’un contexte très différent, avec des densités humaines plutôt faibles et des proies sauvages abondantes. Mais surtout, elles correspondent essentiellement à des situations où les loups habitués à trouver des sources de nourriture d’origine anthropiques, comme les déchets alimentaires, se sont progressivement accoutumés à la proximité immédiate de l’homme et sont devenus moins craintifs à son égard. Ce phénomène d’habituation accroît la tolérance du loup envers la proximité avec l’homme, associé à des stimuli positifs (nourriture). Il n’entraîne pas nécessairement de comportement d’agression, mais il coïncide avec une part importante de ces attaques « prédatrices ».

Ces différents constats sont essentiels, car ils suggèrent une politique de prévention des risques d’attaques par le loup :

  • Supprimer les sources de nourriture anthropiques du type ordures, décharges, appâtage à des fins photographiques, nourrissage, etc.
  • Recourir lorsque c’est possible au conditionnement négatif des loups « entreprenants »: cartouches détonantes, tir de balles en caoutchouc, etc.
  • Capturer et déplacer l’animal (beaucoup plus difficile et rarement praticable).
  • Éliminer les individus les plus à risque.

La communication sur le risque d’attaques des loups envers l’homme est également essentielle, pour faire entendre:

  • que le risque, aussi faible soit-il, n’est pas nul
  • qu’il justifie des mesures de prévention à accepter, mais aussi des prélèvements ponctuels et ciblés.
  • qu’il y a des situations spécifiquement à risque à identifier: loup à très courte distance ne manifestant pas de crainte, situations de nourrissage, etc.
  • mais que d’autres ne signalent pas de risque particulier: loup traversant un village, rencontré sur une route, etc.
  • que nous n’avons pas à ce stade de connaissances exhaustives sur cette question et plus généralement sur le comportement des loups. La recherche doit se poursuivre, sans être pour autant contestée ou suspectée au nom d’un rejet de principe du loup.

Évaluation du comportement des loups et évaluation du risque qu’ils peuvent représenter pour la sécurité humaine avec des recommandations d’action et les lignes directrices élaborées par l’Initiative pour les grands carnivores en Europe.

Que conclure ? Pour ma part, je retiens tout d’abord de cette étude, à ma connaissance la plus complète et la plus récente disponible, qu’une fois de plus, il ne s’agit ni d’idéaliser, ni de diaboliser le loup, aussi difficile puisse être la cohabitation avec lui :

  • Agiter la peur des attaques du loup sur l’homme, aujourd’hui et dans un avenir proche, en France, n’a guère de sens au vue de ce qui précède. Brandir des faits-divers d’autres pays, aux contextes ruraux différents du nôtre, n’a pas de sens.
  • Évoquer sans réflexion des travaux historiques pourtant parfaitement pertinents comme ceux de Jean-Marc Moriceau sur le loup et l’homme de la fin du Moyen-Âge au XIXᵉ siècle, là encore dans des contextes différents du nôtre, n’a guère de sens.
  • Enfin, la véritable question aujourd’hui n’est pas celle de ces risques directs pour l’homme, mais celle des moyens à mettre en œuvre pour la coexistence beaucoup plus difficile avec nos élevages agricoles, et pour les éleveurs qui sont en première ligne.

Là-dessus, et c’est l’essentiel, les ambitions et moyens imposés par nos obligations européennes, convention de Berne et directive Habitats, sont illusoires et à revoir. Mais s’égarer dans des discours de marchands de peur sur le loup et le petit chaperon rouge n’aidera pas. Gardons la tête froide.

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