Le loup, solution contre les sangliers ? (par Fabien Beaujouan)

L’arrivée des loups à Carpiagne a divisé par deux les prises des chasseurs, sur madeinmarseille.net, août 2023

Par Fabien Beaujouan

Après avoir pris connaissance d’un article de journal sur la prédation par le loup des sangliers du camp militaire de Carpiagne[1]L’arrivée des loups à Carpiagne a divisé par deux les prises des chasseurs, madeinmarseille.net, août 2023 , où il était relaté que le loup serait LA solution contre les sangliers, j’ai souri. Méconnaissance, simplisme, militantisme ou bien les trois à la fois ?

Les loups sont depuis des dizaines d’années et en nombres sur le camp de Canjuers dans le VAR (35000 hectares) et pourtant le sanglier y est toujours présent et y fait de la résistance, et pas qu’un peu: la Société militaire de chasse de Carpiagne (SMCC), forte de plus de 400 membres, prélevait environ 400 sangliers par saison[2]Société Militaire de chasse de Carpiagne .

Alors oui la population de sanglier a baissé sur une zone géographique propice à l’implantation et au développement du loup comme peut l’être un camp militaire très peu anthropisé, mais dans les faits, c’est un peu plus complexe qu’un coup de baguette magique, et ce n’est surtout pas pérenne dans le temps. C’est ce phénomène de reprise démographique du sanglier qui est aujourd’hui observable sur le camp de Canjuers.

« Si les prédateurs ont un impact direct sur les populations de leurs proies, ils peuvent également avoir des effets indirects sur le fonctionnement de celles-ci, du fait des modifications comportementales qui sont adoptées pour échapper à la prédation » (Daniel Maillard, responsable du CNERA Faune de montagne). Partant de ce constat, tout est infiniment plus compliqué que, « le loup est magique est plus besoin des chasseurs ! ».

D’ailleurs là où le loup a toujours été présent a-t-il réglé le problème actuel de la surpopulation des ongulés sauvage ? Les populations d’ongulés sauvages sont soumises à de multiples influences environnementales, anthropiques ou pathologiques. La question est complexe, tant les mécanismes interactifs et compensateurs sont nombreux. À ma connaissance, en France, aucune étude n’a encore cherché à appréhender l’impact de la prédation sur la dynamique des populations de proies hormis le rapport, « la prédation du loup sur les ongulés sauvages / impacts directs et indirects » établie par l’ONCFS le CNERA la FDC06 et plusieurs universités en 2015[3]Claire Anceau, Jean-Pierre Bergeon et al., « La prédation du loup sur les ongulés sauvages : impacts directs et indirects », Faune Sauvage, ONCFS, 306, 1er trimestre 2025. . Mais, quoi que ce rapport soit complet sur un biotope et sur une zone donnée géographiquement, il est à mon sens aujourd’hui trop ciblée dans le temps et « zonalement » pour pouvoir en tirer des conclusions au niveau national et à long termes.

Contrairement à logique intuitive, il n’est pas si évident que le retour d’un prédateur ait un effet négatif à long terme sur le taux de croissance d’une population de « proies ». Cela est clairement démontré dans l’étude de Burnham et Anderson[4]Burnham, K.P. & Anderson, D.R. 1984. « Tests of compensatory vs. additive hypothesis of mortality in mallards », Ecology 65:105-112. . Les animaux augmentent leur vigilance au détriment du temps imparti à l’alimentation et échappent mieux à la prédation du loup, et en cascade engendrent une génération suivante plus vigilante et plus véloce[5]Jean-Marc Landry, Le loup, Paris, DelaChaux, 368 p., 2017 . Selon cette étude le taux de multiplication d’une population peut être plus fort en présence de prédation, qui, en diminuant la densité, peut avoir un impact positif sur la survie naturelle ou sur la reproduction. En effet, s’il sélectionne des animaux dont les risques de mortalité naturelle sont plus forts que la moyenne (animaux en moins bonne condition physique ou d’une classe d’âge avec faible taux de survie, comme les jeunes ou les sénescents), la mortalité induite par le prédateur sera de type compensatoire et l’impact de la prédation pourra être négligeable sur le LONG TERME.

L’exemple du Parc national de Yellowstone si souvent cité par les « pro loup » est frappant, et ne va pas, si on l’analyse de plus près, dans le sens où ils l’entendent. L’effectif de la population de cerfs y a certes fortement chuté après le retour du loup, ce qui a conduit dans un premier temps à considérer la prédation comme responsable[6]White P.J. & Garrott R.A. « Yellowstone’s ungulates after wolves -expectations, realizations, and predictions », Biological Conservation, 2005, 125:141-152. .

Mais lorsque qu’une étude plus « poussée » où les divers facteurs ont été pris en compte fut menée, il s’avéra que la succession d’hivers particulièrement rigoureux, combinée à une augmentation du tableau de chasse, étaient les principaux facteurs expliquant cette diminution des effectifs, et qu’en définitive, la prédation par le loup n’avait eu qu’un impact négligeable[7] Vucetich, J.A., Smith, D.W. & Stahler, D.R. Influence of harvest, climate, and wolf predation on Yellowstone elk, 1961-2004. Oikos, 2005, 111:259-270. .

Mais revenons en a nos moutons, ou plutôt à nos sangliers !

La population de sanglier connait une hausse spectaculaire de ses effectifs. Trois grandes raisons à cela&nbsp: les conditions météorologiques, les paysages agricoles « modernes » et enfin la pression anthropique[8]Raphaël Mathevet, Roméo Bondon, Sangliers, géographies d’un animal politique, Paris, Actes Sud, 208 p., 2022 [9]J. Tack, Les populations de sangliers (Sus scrofa) en Europe. Examen scientifique de l’évolution des populations et des conséquences sur leur gestion, European Landowner’s Organization, Bruxelles, 2018, 56 p. .

Quelle est le régime alimentaire du loup en fonction des proies disponible ? À l’échelle européenne tout est dit dans l’étude de Newsome et al.[10]Newsome, T.M.; Ciucci, P.; Boitani, L.; Dickman, C.R., « Fodd habits of the world’s grey wolves », Mammal Review, 2016, 46(4) , on peut voir dans cette étude que le régime alimentaire est variant selon les ressources disponibles, ce que confirme une étude française[11]Flühr, J. « Analyse spatio-temporelle du régime alimentaire du loup (Canis lupus) dans les Alpes françaises. Master 1 Ingénierie en Ecologie et Gestion de la Biodiversité » Univ. Montpellier 2 / ONCFS, CNERA PAD, 2011 .

Pour ce qui est de la prédation du sanglier certaines études sont assez révélatrices. Même si le sanglier est une proie pour le loup, les jeunes spécimens représente la majeure partie des prises de celui-ci, ce qui est corroboré par l’étude de Mori et al[12]Mori, E.; Benatti, L.; Lovar, S.; Ferretti, F., « What does the wild boar mean to the wolf ? » European Journal of Wildlife Research, 2016, 63(9) , et l’étude mené par Nores et al[13]Nores, C.; Llaneza, L.; Alvarez, A., « Wild boar Sus scrofa mortality by hunting and wolf Canis lupus predation: An example in northern Spain », Wildlife Biology, 2009, 14, p. 44-51. , dont une des conclusions principales est, « la prédation du loup a un faible impact et ne peut réguler ces populations ».

Bien qu’il soit établi que les « jeunes sanglier » soit une proie idéale dans certaine condition[14]Mori, E.; Benatti, L.; Lovar, S.; Ferretti, F., « What does the wild boar mean to the wolf ? » European Journal of Wildlife Research, 2016, 63(9) . L’étude de Flühr[15]Flühr, J. « Analyse spatio-temporelle du régime alimentaire du loup (Canis lupus) dans les Alpes françaises. Master 1 Ingénierie en Ecologie et Gestion de la Biodiversité » Univ. Montpellier 2 / ONCFS, CNERA PAD, 2011 vient contredire l’hypothèse d’une pression permanente sur le sanglier, Il est d’ailleurs très possible que la situation soit temporaire a Carpiagne comme elle l’a été à Canjuers. La pression de prédation peut se lever en raison de la raréfaction de la proie et surtout en cas de « décantonnement » de celle-ci.

Exemples de faits-divers rapportés dans la presse locale, où des sangliers s’aventurent en zone urbaine

Le « décantonnement » est un phénomène si souvent observé, mais si peu étudié. En effet les sangliers sur le camp de Canjuers ont rapidement trouvé une parade. Le déménagement ! Pour ceux qui s’y sont un tant soit peu intéressés, l’expansion des populations de loups sur le camp coïncide pleinement avec la « migration » de ceux-ci au plus proche des zones les plus anthropisées, ces mêmes zones que le loup évite soigneusement et le plus souvent possible.

Même si ce n’est certainement pas le facteur principal de cette « migration », la recherche de nourriture facile étant très certainement la priorité, elle constitue dans certaine zone et notamment dans le sud de la France, un facteur aggravant.

En conclusion et pour paraphraser @caluguillaume « Si les densités de populations de loups en France devenaient suffisamment fortes pour réellement influencer les effectifs de sangliers, rien ne permet d’affirmer que les loups seraient en mesure de maintenir durablement de faibles densités ».

Notes & références

Notes & références
1 L’arrivée des loups à Carpiagne a divisé par deux les prises des chasseurs, madeinmarseille.net, août 2023
2 Société Militaire de chasse de Carpiagne
3 Claire Anceau, Jean-Pierre Bergeon et al., « La prédation du loup sur les ongulés sauvages : impacts directs et indirects », Faune Sauvage, ONCFS, 306, 1er trimestre 2025.
4 Burnham, K.P. & Anderson, D.R. 1984. « Tests of compensatory vs. additive hypothesis of mortality in mallards », Ecology 65:105-112.
5 Jean-Marc Landry, Le loup, Paris, DelaChaux, 368 p., 2017
6 White P.J. & Garrott R.A. « Yellowstone’s ungulates after wolves -expectations, realizations, and predictions », Biological Conservation, 2005, 125:141-152.
7 Vucetich, J.A., Smith, D.W. & Stahler, D.R. Influence of harvest, climate, and wolf predation on Yellowstone elk, 1961-2004. Oikos, 2005, 111:259-270.
8 Raphaël Mathevet, Roméo Bondon, Sangliers, géographies d’un animal politique, Paris, Actes Sud, 208 p., 2022
9 J. Tack, Les populations de sangliers (Sus scrofa) en Europe. Examen scientifique de l’évolution des populations et des conséquences sur leur gestion, European Landowner’s Organization, Bruxelles, 2018, 56 p.
10 Newsome, T.M.; Ciucci, P.; Boitani, L.; Dickman, C.R., « Fodd habits of the world’s grey wolves », Mammal Review, 2016, 46(4)
11, 15 Flühr, J. « Analyse spatio-temporelle du régime alimentaire du loup (Canis lupus) dans les Alpes françaises. Master 1 Ingénierie en Ecologie et Gestion de la Biodiversité » Univ. Montpellier 2 / ONCFS, CNERA PAD, 2011
12, 14 Mori, E.; Benatti, L.; Lovar, S.; Ferretti, F., « What does the wild boar mean to the wolf ? » European Journal of Wildlife Research, 2016, 63(9)
13 Nores, C.; Llaneza, L.; Alvarez, A., « Wild boar Sus scrofa mortality by hunting and wolf Canis lupus predation: An example in northern Spain », Wildlife Biology, 2009, 14, p. 44-51.

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