La chevrotine (par Fabien Beaujouan)

Sommaire

Par Fabien Beaujouan

Qu’est-ce que la chevrotine ?

C’est la désignation usuelle de « gros » projectiles de forme sphérique (ou approchant) utilisés en « groupe » de manière à multiplier le nombre de projectiles tirés à partir d’un même propulseur. Les premières mentions de tel projectiles datent d’environ 1310 et étaient utilisées dans les canons portatifs chinois de la période « Yuan ».

Elle (par simplicité on parlera de munition pour la désigner) existe donc quasiment depuis le début des armes à feu. L’appellation de chevrotine viendrait d’une transcription datant de 1596, « une volée de gros plombs » étant utilisé pour la chasse au chevrotin.


Chevrotines « 9 grains»

Un point rapide sur la législation

La chevrotine fut longtemps utilisée par nos anciens dans les armes à canon lisse car c’était une munition pour le grand gibier peu coûteuse, facile à fabriquer soi-même sur le coin de la table avec un bourroir et une sertisseuse. Ceci explique en grande partie son succès dans la chasse française post Seconde guerre mondiale, où la majorité des chasseurs rechargeaient eux-mêmes leurs munitions (le rechargement d’une « balle » étant un peu plus technique et onéreux).

Elle est interdite sur le territoire national depuis 1986, et ceci en grande partie sous l’impulsion de l’Association Nationale des Chasseurs de Grand Gibier (ANCGG), pour des raisons éthique et sécuritaire.

Nous verrons plus tard quelques caractéristiques balistiques générales de cette munition tirée de 2 études.

Depuis, seuls 3 départements ont été dispensés de cette interdiction :

  • Les deux départements de Corse où la chevrotine n’a jamais été interdite sous l’impulsion des élus locaux, et dont la dérogation est reconductible depuis 1986.
  • Dans les Landes, l’utilisation de la chevrotine avait été autorisée suite à la tempête Klauss survenue en janvier 2009, tempête qui a créé dans la forêt landaise des paysages de chablis rendant difficile le tir à balle du sanglier en raison notamment des risques de ricochets sur les troncs d’arbres.
  • Ainsi et durant 3 années successives, de 2009 à 2011, l’emploi de la chevrotine a été possible dans les Landes à titre dérogatoire. Cette dérogation a été reconduite depuis. Mais seules les munitions dotées de 21 grains et dont le diamètre unitaire est compris entre 6.2 et 6.3mm est autorisé, cantonnant ce type de munition au seul calibre 12, et sans billes d’acier ! Ce détail est important, nous le verrons plus tard.

    Par courriers successifs, le président de la Fédération nationale des chasseurs sollicite un réexamen au niveau national de ce dossier afin de donner aux préfets la possibilité d’autoriser l’utilisation de la chevrotine en battues collectives de régulation du sanglier dans les départements où cette espèce est classée nuisible.


    Chevrotines « 21 grains »

    Tableau de comparaison des différentes chevrotines

    Les études utilisées

    Pour essayer de démêler le sac de nœuds qui gravite autour de la chevrotine, je me baserai sur 2 études aux antipodes l’une de l’autre. Je mettrai aussi avec l’accord des auteurs des liens vidéo.

    Étude 1 (ANCCG)

    La première est l’étude collective effectuée en 2014 par l’ANCGG, l’ADCGG28 et l’ADCGG22 (que j’appellerai étude 1). Étude qui en synthèse, et pour faire simple, est une étude en condition de terrain qui conclut de la manière suivante :

    les tests de ricochets effectués mettent en évidence que la structure du projectile et sa vitesse constituent les facteurs majeurs de risque de ricochets, et que le risque de ricochet est multiplié par le nombre de graines soit un facteur 20. »

    « Chaque tir au sol s’est conclu par des déviations latérales importantes. Les angles moyens observés de 43° et extrêmes de 72° montrent l’extrême dangerosité de la chevrotine. »

    Cette étude collective qui fait la part belle à la réalité de terrain fait cependant souvent l’impasse sur l’aspect scientifique et surtout méthodologique, ce qui la rend pour un balisticien, contestable.

    Source : Étude de dangerosité des munitions de type chevrotine. Rapport d’étape. Étude collective effectuée par l’ANCGG, l’ADCGG28, l’ADCGG22.

    Étude 2 (BOYER)

    La 2eme étude (que j’appellerai étude 2) est celle des ESSAIS DE TIRS DE CARTOUCHES DE CHEVROTINES EN SITUATION CONTRÔLÉE (Juin & Septembre 2014 du Commandant Michel BOYER). C’est cette étude menée en laboratoire qui a servi de base à la dérogation de tir à la chevrotine dans les landes à partir de la même année.

    Source : Essais de tirs de cartouches de chevrotines en situation contrôlée. Juin & Septembre 2014, Commandant Michel BOYER.

    Bonne chance pour le mal de crâne si vous n’êtes pas coutumier de la balistique : cette étude se veut très scientifique dans son approche. Et elle l’est ! C’est aussi son talon d’Achille, car à mon sens, elle fait fi de certains problèmes liés à la réalité du terrain, ce qui, toujours me concernant, la rend incomplète.

    Par exemple pour matérialiser l’impact des ricochets, et des modifications sensibles de trajectoire, notamment lors de tirs tangentiels, la distance de 15 mètres a été définie comme la distance maximale d’emploi préconisée par le commanditaire (qui n’est autre je le rappelle que la fédération des Landes). Cette restriction des 15 mètres si elle est représentative d’une partie des conditions de tir spécifique au biotope landais, n’est en aucune manière restrictive de façon générale (elle le devrait, nous le verrons plus tard). Il en va de même pour ce qui est des tests de « ricochet » qui sont représentatifs de tir dans les conditions pour lesquelles a été demander la dérogation.

    Les essais de terrain étant complémentaires de ceux réalisés en labo, les deux études sont donc pour moi complémentaires et non opposables pour analyser certains domaines et certaines problématiques liées à l’utilisation de la chevrotine.

    Qu’en est-il de l’efficacité balistique ?

    La chevrotine est efficace quand elle est utilisée ce pourquoi elle est faite, un tir cible à moins de 15 mètres.

    Premier problème ! Pour rappel, en France, la distance de tir moyenne est de 45m environ, nous en revenons donc à mon « elle le devrait ».

    Je vais m’appuyer principalement sur l’étude N°2 qui donne beaucoup de données comparatives afin d’essayer d’éclaircir la situation.

    Si on se réfère à un des modèles utilisés, à savoir la cartouche de calibre 12 TUNET en 21 graines, celle-ci à une énergie cumulée à 15 mètres de 1971 joules, mais à un H+L toujours à 15 mètres de 45,1 x 40,8 cm A 10 mètres déjà, le nombre de graines qui atteindra la cible dans la « zone » vitale est restreint.

    Voici le résultat de 2 tirs à 10 mètres dans une C50 dont les dimensions sont de 55 par 52 cm, le visuel noir quant à lui à un diamètre de 200mm. On peut donc considérer que toutes les graines entrant dans ce visuel peuvent être mortelles à très très court terme, car elles entrent dans la zone dite cœur-poumon d’un animal de corpulence moyenne.

    Le choc hydrodynamique induit quant à lui restera plus réduit, rien à voir avec le choc induit par un unique projectile de type « balle » de fusils de chasse ou carabine.

    Reprenons par exemple notre valeur à 15 mètres de 1971 joules cumulés et divisons-la par le nombre de graines (et considérons que la gerbe sera quasi équivalente à 15 mètres qu’à 10). On peut en valeur moyenne considérer qu’une graine a une « puissance » de moins 100 joules à cette distance. Soit sur 2 tirs consécutifs en cible, 8 impacts fois 100 égale moins de 800 joules dans la zone « vitale ». Les autres étant en dehors de cette zone elles vont blesser gravement l’animal par dégradation des tissus (voir canal lésionnel) sans pour autant avoir la certitude d’une atteinte mortelle à très court terme.

    Cependant les effets cumulés des graines en zone vitale et au dehors entraineront de manière quasi certaine la mort de l’animal assez rapidement si ce n’est pas immédiatement. Mais à comparer avec une munition de « type Brenneke » de la même marque cela n’a quand même rien à voir en termes de « puissance » pure (voir tableau ci-dessous).

    Notons qu’à cette distance de tir, théoriquement quelques graines devraient cependant traverser l’animal, la pénétration à cette distance étant assez importante pour pénétrer profondément (pénétration Moyenne de 83,42 mm à 15 mètres dans de la plasticine) facilitant ainsi une éventuelle recherche au sang. Je tiens d’ailleurs ici à remercier nos amis conducteurs de chien de rouge.

    Augmentons la distance ! Exemple de tir à 30 mètres, calibre 12 équipé point rouge réglé à 35 mètres, choke lisse, munitions Mary Arm 21 grains.

    Premier tir/ point visé, étoile / atteinte en cible 5 :

    Second tir/ point visé, étoile / atteinte en cible 10 :

    Que peut-on en déduire assez logiquement ? Un nombre d’atteintes de la cible très aléatoire à chaque tir, ce qui est dû à une dispersion fantasque de la chevrotine en elle-même. Pourtant la munition est de qualité et encartouchée avec grand soin par ce manufacturier de renom (le problème n’est pas là).

    Beaucoup de zones d’atteintes sont le plus souvent incapacitantes et non vulnérantes à très court terme. Cette effet de « non régularité » de la gerbe de la chevrotine et démontré par une vidéo de Jean-Claude Tolphin avec d’autres munitions et un nombre de graines différentes: Chevrotines ! Le retour !

    Les données récoltées pour cette même munition utilisée toujours dans l’étude N°2 sont, à la distance de 28 mètres : Vitesses moyenne 307.1 M/S pour une « puissance » unitaire de 62 joules/grains. Même si on prend en compte les 10 impacts, en cumulé on atteint une puissance théorique de 620 joules. Pour rappel concernant les armes dites « de grande chasse » la réglementation française oblige une puissance minimale de 1000 joules à 100 mètres. Je vois là pour ma part un autre aspect problématique, même si l’on considère que les 21 graines seraient hypothétiquement en cible à 100 mètres, elles n’auront jamais une puissance cumulée de 1000 joules à cette distance.

    Faut-il adapter la législation et réglementer la distance de tir maximal, pour qu’au moins théoriquement cette règle des 1000 joules soit respectée, éthiquement la question peut se poser ! Toujours selon l’étude N°2, pour 10 tir à la distance de 15 mètres on peut considérer au vu des moyennes obtenues qu’une bonne partie du chargement de la munition sera en cible, qu’une partie sera en zone dite vitale, et que la « règle » des 1000 joules sera en théorie respecté.

    Rappel, les vitesses moyennes et l’énergie par graines de 3 des munitions utilisées à cette distance nous donnent les résultats suivants :

    • TUNET énergie par graines 89 / vitesse 352.1
    • PMC énergie par graines 73 / vitesse 316.9
    • MARY énergie par graines 88 / vitesse 352.2

    Quelle conclusion peut-on tirer en général de l’efficacité balistique ? Théoriquement jusqu’à une quinzaine de mètres la chevrotine est une munition dont le groupement reste assez concentré pour avoir une puissance cumulée nécessaire pour tuer de manière quasi certaine un animal, cela tient plus de la chance voir du miracle passé une vingtaine de mètres ! La question se pose donc, faut-il réglementer plus qu’elle ne l’est actuellement la législation encadrant l’utilisation de cette munition ?

    Qu’en est-il de la dangerosité éventuelle ?

    Je vais m’appuyer cette fois principalement sur l’étude N°1 qui donne beaucoup de données comparatives de situations de terrain, afin, là aussi, d’essayer d’éclaircir la situation.

    En premier lieu, cette étude s’attache à mesurer la dispersion lors d’un tir de chevrotines ayant un chargement de 21 graines (je n’ai cependant pas trouvé de trace de la marque ou de la conception, ce qui est dommage). Pour se faire, les distances de tir sont quasi identiques à l’étude N°2, mais le choix du « lanceur » est différent car cette étude tient aussi en compte des différents chokage de canons existants :

    On s’aperçoit alors que le chokage peut avoir un impact non négligeable sur le diamètre de la gerbe (c’est quand même sa fonction à la base), mais bizarrement c’est avec le ½ choke que l’on obtient le groupement le plus serré à la distance test de 25 mètres, et non en full choke.Donc en conséquence c’est bien ce chokage qui a été retenu pour le test de dispersion.

    Effet théorique de différents chokes :

    Au vu des résultats obtenus, et en comparant la dispersion totale et le diamètre de gerbe efficace on s’aperçoit qu’il est important de faire des essais avec différentes munitions et différents chokage de son arme, afin de définir quel triptyque arme/choke/munitions est le plus efficient. Malgré cela on note quand même que pratiquement dans tous les tirs, une ou plusieurs graines ont un comportement erratique par rapport au reste de la gerbe. On peut aussi noter que malgré les bons groupements du triptyque utilisé, passé une vingtaine de mètres la dispersion des projectiles (diamètres de 90 cm) ne permet pas à coup sûr d’avoir un tir mortel (encore et toujours).

    Le protocole de cette étude s’est ensuite attaché à définir, non pas si les projectiles de la chevrotine allaient ricocher, mais dans quelles proportions et avec quels angles. Naturellement au vu des précédents tests, c’est la distance de 15 mètres, et le triptyque le plus efficient qui a été retenu. Cela tombe bizarrement bien car si on s’en réfère aux éléments cités dans l’étude N°2, cela correspond aussi à la distance à laquelle la majorité des munitions utilisées sont aussi le plus efficientes. À mon sens, c’est bien cette distance qui doit être retenue comme distance de tir usuel maximal.

    Le protocole utilisé nous donne les données suivantes :

    3 tirs seulement ont été effectués, ce qui représente un échantillonnage restreint mais suffisant pour en tirer quelques conclusions. Voici les résultats des tests, avec je le rappelle des munitions à 21 graines.

    Sur le premier tir les hauteurs d’impacts relevées sur la bâche arrière se situe entre 16cm et 1m71 :

    Enfin les angles latéraux de ricochets relevés sur les différents tirs varient entre 26° et 72° la moyenne étant aux environs de 43°. Un petit dessin valant mieux que de grand discours je vous laisse juger :

    Bien sûr la nature du sol est l’un des principaux vecteurs conditionnant « l’effet ricochet », un sol plus meuble ou plus dur que celui du test changera les résultats. Les essais ayant été réalisés sur un sol naturel s’apparentant à un chemin forestier. Ce type de sol constitue un substrat médian entre les sols tendres et les sols durs. Cette surface est à mon sens assez représentative d’une bonne partie des sols rencontrés par les tireurs postés.

    En conclusion et au vu des tests pratiqués, il est assez aisé de comprendre que la chevrotine est une munition qui induit un grand nombre de ricochets éventuels. Ceci étant dut aux nombres de projectiles « semi-lourd » qu’elle utilise. Le risque de ricochet est donc multiplié par une valeur X pouvant aller théoriquement jusqu’à 20 par rapport à une munition à projectile unique.

    Conclusion

    Après avoir passé en revue l’historique, la législation, l’efficacité balistique et la dangerosité due notamment aux ricochets, que peut-on en déduire?

    La chevrotine est une munition dont la puissance et le groupement à très courte distance (en deçà de 20 mètres) permet le tir des animaux assez corpulent. Elle a cependant une très forte tendance au ricochets dut à la composition même de la munition (multi-projectile « semi-lourd »). Au vu de ses éléments (je ne vais pas me faire que des amis sur ce coup), cette munition doit être restreinte à une utilisation dans un cadre très règlementé, sur des postes ou des actions de chasse très particulières, et en aucun cas à une utilisation généralisée/banalisée.

    Quoi qu’il en soit (ça va encore m’apporter des copains), toutes les valeurs de ses 2 études, notamment celle ayant servi de base à la dérogation de tir à la chevrotine dans les landes ont été réalisées avec des munitions dont les graines sont en plombs. Pour rappel, légalement, la chevrotine ne doit pas contenir de bille d’acier, se pose alors la question de l’aspect juridique du maintien de cette munition tel que nous la connaissons avec l’arrivée du « tout au sans plomb ». Si des substituts au plombs existent belle et bien, bismuth, cuivre, tungstène etc… une ou des études dans le cadre d’une dérogation éventuelle devraient normalement être refaites avec ses nouveaux matériaux dont la ductilité et la densité sont différentes de celles du plomb, la dérogation actuelle devenant de fait caduque, et ne pouvant servir de base à une généralisation nationale.

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