Les 30 propositions sénatoriales sur la sécurisation de la chasse

Sommaire

Les propositions de la mission sénatoriale sur la sécurisation de la chasse[1]Rapport d’information de M. Patrick Chaize, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des lois,senat.fr, 14 septembre 2022 ne plairont peut-être pas à tout le monde : ni aux anti-chasse radicaux dont certaines exigences hors-sol ont été écartées, ni sans doute à certains chasseurs. Mais sans doute est-ce le signe d’une approche réfléchie et mesurée, mêlant d’importantes avancées de fond et certains gages symboliques, mais nécessaires, à donner à l’opinion. Les 30 propositions vont de la formation initiale et continue des chasseurs au volet contrôle, police de la chasse et répression des contrevenants, en passant par l’organisation des chasses et l’adaptation au niveau locale des jours ou horaires de chasse. Elles constituent une confirmation de l’effort déjà accompli par les chasseurs et leurs fédérations, qu’il s’agit d’approfondir. Elles méritent à ce titre au moins d’être soutenues, et pour certaines, acceptées comme des concessions nécessaires.

Les armes de chasse

La demande irréaliste du collectif Un jour un chasseur d’interdire ou de limiter l’utilisation des carabines de chasse au grand gibier est fort heureusement écartée, au profit d’un sécurisation plus pertinente de leur usage :

  • Journée de formation spécifique (ou intégrée à la formation initiale du permis)
  • Épreuve de performance au tir et d’utilisation des fusils et carabines semi-automatiques lors de l’examen du permis
  • Développement d’une « culture du tir » : formation au tir, réglage des armes, installation de stands…
  • Pour les armes qui ne se « cassent » pas, rendre obligatoire l’utilisation d’un témoin de chambre vide

Trois raisons au moins justifient le refus d’interdire les carabines pour la régulation du grand gibier, au prétexte de leur portée de tir:

  • Un gain de sécurité incertain, la plupart des accidents ayant en réalité lieu à courte portée, selon les données de l’ex-ONCFS OFB
  • Un risque d’accident sans doute même accru en raison de ricochets plus fréquents avec les balles de fusils à canon lisse
  • Un risque plus élevé de seulement blesser le gibier

Une meilleure formation à l’utilisation de ces armes et en particulier le renforcement de l’entraînement au tir viendraient en revanche combler un indéniable défaut de nombreux chasseurs, souvent moins expérimentés dans ce domaine que nos collègues allemands, souvent montrés en exemple, mais chez qui le tir sportif est plus généralement une véritable institution nationale. Une meilleure pratique du tir devrait entraîner moins de tirs manqués, et moins de risques liés aux tirs à balle.

La sécurisation des chasses et en particulier des battues

Un équilibre délicat devra être trouvé dans la gestion des règles de sécurité entre cohérence au niveau national et nécessaire adaptation au terrain, selon les départements :

  • Harmonisation au niveau national des principales règles de sécurité à la chasse gérées actuellement via les schémas départementaux de gestion cynégétique (SDGC)
  • Possibilité pour le préfet de provoquer la révision du SDGC pour des raisons de sécurité.

Un important volet de mesures proposées concerne spécifiquement la chasse en battue, responsable de la majorité des accidents :

  • Systématisation des formations spécifiques pour les directeurs de battue, déjà existantes dans la plupart des départements, qui seraient également rendues obligatoires
  • Promotion de la traque-affût
  • Déclaration préalable obligatoire des battues au grand gibier
  • Mise à disposition des données de géolocalisation des battues en open data (pour permettre leur libre utilisation)
  • Favoriser la prise d’arrêtés interdisant l’accès aux zones de chasse lorsque les conditions de sécurité le justifient
  • Développer les audits de sécurité conduits par les techniciens des fédérations lors de battues (exemple du Jura)

Et sur le terrain :

  • Présence d’un chasseur formé et d’une trousse de premiers secours lors des chasses collectives.
  • Soutenir la généralisation des miradors
  • Lutter contre le vandalisme anti-chasse des installations de sécurité et contre les entraves à la chasse (délit d’entrave au déroulement d’activités sportives ou de loisir légales)

On peut s’attendre à des débats sur plusieurs de ces propositions. La « traque affût » ou « poussée silencieuse », très pratiquée chez nos voisins allemands, est indéniablement une forme de battue beaucoup plus sécurisée en elle-même que notre battue à cor et à cri : le tir s’y effectue presque à l’affût, dans la traque le plus souvent et non vers l’extérieur de l’enceinte chassée, à très courte portée et sur du gibier que l’on a seulement poussé à se déplacer sans fuir à pleine pattes. Mais cette chasse sans chiens (ou uniquement avec des chiens de pieds) se heurte souvent à notre passion nationale pour la chasse aux chiens courants : sans la « musique des chiens », est-ce encore de la chasse objecte-t-on souvent. Il serait pourtant avisé de s’y rallier au moins en secteur périurbain, où les risques sont les plus élevés.

La déclaration préalable de toutes les battues et leur géolocalisation systématique répondraient à un besoin d’information abondamment exprimé dans l’opinion. Ces mesures peuvent être essentielles pour permettre une cohabitation facilitée, sans heurts, sans crainte d’être surpris à se retrouver tout à coup à proximité ou même dans la zone d’une battue en cours. Certains objecteront la crainte de voir ces informations exploitées par les activistes anti-chasse pour multiplier les actions d’entrave. L’enjeu pour le grand public paraît cependant autrement plus important, et la création, enfin, du délit d’entrave devrait permettre d’y remédier si la volonté des pouvoir publics y est. L’obstacle plus évident ne réside pas là, mais dans la difficulté pratique, voire l’impossibilité, d’anticiper à coup sûr et de façon suffisamment précise où une battue a lieu : ce n’est en effet pas le chasseur qui décide, mais le gibier qui choisit de se cantonner ici, puis souvent de se déplacer pendant la nuit. Cette mesure devra donc être soigneusement conçue et mesurée.

L’idée de rendre plus courantes les interdictions d’accès au public sur les zones de battues, pendant celles-ci, déclenchera sans doute une vague d’indignation chez certains anti-chasse. Mais quand on entend certains affirmer que « la forêt est à tout le monde », ou pire, que ce serait aux seuls chasseurs de veiller à la sécurité des promeneurs sans que ceux-ci n’aient à s’en soucier… Force est de faire preuve de pragmatisme, sans état d’âme.

Les jours et horaires de chasse

Le fameux « dimanche (ou autre jour) sans chasse » à l’échelle nationale, qui poserait notamment des difficultés considérables pour la gestion du grand gibier, est écarté au profit de mesure plus adaptées au niveau local :

  • Renforcement des compétences des préfets pour limiter si nécessaire les jours et horaires de chasse
  • Permettre la concertation entre tous les acteurs au niveau local pour adopter des limitations de jours ou d’horaires de chasse adaptés
  • Renforcer la concertation entre fédérations des chasseurs et l’ensemble des acteurs institutionnels et associations de la nature

Le rejet du week-end et des congés scolaires sans chasse va lui aussi susciter à coup sûr de vertueuses indignations… passablement démagogiques. Outre l’obstacle juridique de l’enfreinte au droit de propriété (la chasse s’exerçant essentiellement en dehors du domaine public), l’inadaptation de cette interdiction nationale et systématique aux situations de terrain est bien établie. Privilégier des jours ou demi-journées sans chasse, dimanche inclus au besoin, au cas par cas, concertés localement, apparaît bien plus pertinent, sans remettre en cause l’idée générale d’un partage raisonné des espaces naturels dans le temps.

Le permis de chasser et la formation continue

Outre le renforcement de l’épreuve du permis de chasser avec de nouvelles exigences concernant le tir, la mission sénatoriale recommande de :

  • Rendre obligatoire la formation aux premiers secours PSC1 pour l’obtention du permis
  • Compléter la formation décennale obligatoire de remise à niveau sécurité, actuellement théorique, par un volet pratique
  • Généraliser le tutorat des nouveaux détenteurs du permis lors de la première année de chasse et des chasseurs mineurs jusqu’à leur majorité.
  • Généraliser le tutorat des chasseurs mineurs jusqu’à leur majorité.

L’ajout d’un volet pratique à l’actuelle journée ou plutôt, demi-journée, de la formation décennale de remise à niveau sécurité est une mesure lourde. Elle imposera aux fédérations départementales une nouvelle charge considérable, et risque de ralentir le passage de tous les chasseurs par cette formation. C’est sans doute la proposition qui nécessitera le plus d’être travaillée avec vigilance et pragmatisme, pour rester réaliste et ne pas devenir contre-productive. Mais force est de reconnaître que certaines remises à niveaux, organisées sous forme de session en ligne et même pas en présentiel, ne peuvent que peiner à convaincre de la valeur de ce dispositif. Un équilibre délicat devra être trouvé.

Le rejet d’une autre proposition des anti-chasse d’interdire la chasse aux mineurs est une preuve de sagesse: il est bien établi, à partir des données de suivi de l’ex-ONCFS OFB que ce ne sont pas les jeunes ou très jeunes chasseurs qui seraient sur-représentés dans les auteurs d’accidents de chasse, mais au contraire les « anciens permis », qui n’ont pas bénéficié des mêmes formations en matière de sécurité. La chasse accompagnée avant le passage de l’examen est en réalité un facteur de sécurité, à consolider. Renforcer l’accompagnement des jeunes chasseurs, quel que soit leur âge, est donc bien plus pertinent qu’une interdiction aux mineurs.

Visite médicale annuelle et alcoolémie à la chasse

Deux mesures très demandées par les opposants à la chasse sont cette fois retenues par la mission sénatoriales :

  • Certificat médical annuel obligatoire pour la validation du permis de chasser
  • Alignement sur les règles de sécurité routière d’interdiction de l’alcool, avec un taux d’alcoolémie identique

Au vu des données de suivi des accidents de chasse depuis plus de 20 ans, ainsi que de leur coût potentiel mais à évaluer rigoureusement, ces deux mesures peuvent soulever de fortes objections. Certains y verront peut-être aussi une concession outrée à certains des clichés les plus navrants sur les chasseurs. Mais on peut aussi y voir des gages certes symboliques quant à l’impact réel sur l’accidentologie cynégétique, mais pourtant majeurs, qu’il faut admettre de donner à l’opinion. Couper enfin le pied à certaines des attaques les plus courantes envers la chasse, mais aussi les plus dévastatrices pour son image, ne peut pas être négligé. Nous en aurons fini avec le sketch des Inconnus pris hélas au premier degré.

On peut en revanche s’interroger sur la périodicité de la visite médicale de renouvellement du permis: ne suffirait-il pas qu’elle ne soit imposée qu’une fois tous les cinq ou dix ans par exemple ? Voire avec un délai raccourci passé un certain âge ?

La police de la chasse et la répression des contrevenants aux règles de sécurité

Le renforcement des moyens de la police de la chasse souhaité par la Fédération nationale des chasseurs est retenu, à différents niveaux, avec le renforcement des compétences :

  • Des inspecteurs de l’environnement de l’OFB (ainsi que la préservation de leurs effectifs)
  • Des agents de développement des fédérations départementales des chasseurs (« garderie fédérale »)
  • Des gardes chasse particuliers
  • Des commissions départementales de sécurité des fédérations pour prévenir et sanctionner les comportements dangereux (leur rôle est aujourd’hui uniquement consultatif).

Et, plus inattendu, donner aux policiers municipaux des compétences en matière de police de la chasse.

Le volet répressif est également renforcé :

  • Amélioration de l’utilisation du fichier Finiada des interdictions de détention d’armes
  • Création d’une plateforme de recueil des incidents et conflits d’usage liés à la chasse sous la responsabilité de l’OFB.
  • Renforcement des peine de suspension ou retrait du permis de chasse selon la gravité de l’infraction commise.
  • Systématisation de l’interdiction de repasser le permis de chasser après suspension avant 10 ans, en cas d’homicide involontaire par tir direct
  • Développement des formations pour corriger des comportements dangereux sur décision des fédérations, des ACCA, de l’OFB ou des parquets (stages alternatifs aux poursuites).

Une dernière mesure concerne les lieutenants de louveterie, agents publics bénévoles et assermentés, compétents pour certains délits de chasse dans leur secteur d’exercice, avec la possibilité de déduction fiscale des frais engagés dans l’exercice de leurs missions de service public.

Le renforcement de la police de la chasse, sous ses différentes formes, était une demande majeure de la Fédération nationale des chasseurs, clairement exprimée par son président, Willy Schraen, lors de son audition par la mission sénatoriale. La « peur du gendarme », pour reprendre ses propres termes, est un outil à ne jamais négliger, avec lucidité. Beaucoup de chasseurs disent eux-mêmes n’avoir presque jamais, voire jamais, été contrôlés au fil des années. C’est une condition essentielle si l’on défend, comme l’a fait Willy Schraen, que la règlementation de la chasse serait en l’état suffisante, et qu’il s’agit avant tout de la faire respecter par tous, sans exceptions.

L’idée d’une plateforme de recueil des incidents et conflits d’usage liés à la chasse sous la responsabilité de l’OFB va, évidemment, être un dernier sujet de polémiques. Mais songeons juste qu’elle servirait tout autant à recueillir aussi les infractions, entraves, délits commis par les activistes anti-chasse, amateurs de sabotage de miradors, d’incendies de cabanes de chasse, de vandalisme d’agrainoirs et d’abreuvoirs pour le petit gibier, sinon d’atteintes plus directes aux personnes.

En guise de conclusion provisoire

La mission sénatoriale sur la sécurisation de la chasse, lancée en novembre 2021, a mené un travail de fond. Elle a reçu et entendu tous les acteurs concernés, chasseurs, non-chasseurs, institutionnels, représentants des usagers de nos espaces naturels, associations environnementales et même groupuscules anti-chasse. Elle a su, à l’évidence, écarter quelques-unes des exigences les plus inappropriées et déraisonnables de ces derniers. Elle a cependant su retenir certaines propositions qui seront peut-être peu au goût de certains chasseurs. Elle a également pris en compte certaines attentes certes symboliques, mais indéniables, de l’opinion.

Elle a surtout, à travers le choix de nombreuses propositions, su reconnaître le travail considérable déjà réalisé au cours des 20 dernières années par le monde de la chasse. En matière de formation à la sécurité, de renforcement des règles, d’attention de plus en plus portée à cette question devenue capitale. Elle a pris le parti, réfléchi, d’encourager et d’approfondir bon nombre de mesures déjà prises.

Il s’agit à présent de ne pas oublier que ce sont, en l’état, des propositions. Une base de départ pour un travail concerté, plus approfondi en particulier quant aux nouvelles charges que ces mesures imposeraient aux fédérations des chasseurs. Certaines de ces propositions vont certainement devoir évoluer. Un travail auquel les chasseurs et leurs institutions devront se prêter avec le souci de parvenir à des avancées réelles, répondant tout autant aux besoins d’améliorations concrètes qu’à celui de restaurer la confiance entre le monde de la chasse et le public des non-chasseurs.

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