Dégâts du grand gibier non chassé: nous ne pouvons plus payer pour les animalistes, mais…

Sommaire

Le « cas Luc Besson »[1]La justice donne de nouveau raison à Luc Besson face à la Fédération de la chasse de l’Orne, France bleu, 28 octobre 2021 illustre un problème devenu majeur : le coût croissant des dégâts du grand gibier cantonné sur des territoires non chassables ou non chassés, et l’impasse actuelle du système d’indemnisation agricole mis en place dans les années 1960, qu’il est devenu indispensable de réviser. Mais faire payer ces territoires non chassés n’est pas si simple.

31% du territoire non chassé ou difficilement chassable ?

Les territoires non chassables se sont considérablement étendus ces dernières décennies. Leur part est mal connue : si la Fédération nationale des chasseurs avance le chiffre de 21% en moyenne de territoires non chassés par département, auxquels s’ajouterait « au moins 10% de territoires très peu chassés [2]Dégâts de gibier, Fédération nationale des chasseurs  », il y a des disparités importantes entre départements, d’à peine quelques pourcents en Alsace-Moselle à 33% dans la Sarthe selon le rapport de la mission parlementaire Cardoux-Péréa sur les dégâts du grand gibier. Un décompte précis reste à faire[3]Restaurer l’équilibre agro-sylvo-cynégétique pour une pleine maîtrise des populations de grand gibier et de leurs dégâts à l’échelle nationale, Mission parlementaire relative à la régulation des populations de grand gibier et à la réduction de leurs dégâts, Jean-Noël Cardoux & Alain Péréa, Mars 2019 .

Ces territoires non chassables ou non chassés sont de plusieurs sortes :

  • 5 zones coeurs de parcs nationaux (1 780 km²), essentiellement en haute montagne
  • 77 Réserves naturelles nationales et régionales (environ 900 km²)
  • Une partie des réserves biologiques intégrales gérées par l’ONF (moins de 460 km²)
  • Les propriétés privées retirées des territoires de chasse des ACCA par opposition de conscience à la chasse (superficie totale inconnue)
  • Les propriétés privées non chassées par décision de leurs propriétaires, à l’image du domaine de Luc Besson dans l’Orne (superficie totale inconnue)

Il s’y ajoute une part croissante de territoire difficilement chassables, et de fait très peu ou pas chassés, dont en particulier :

  • Des zones non entretenues du fait de la déprise agricole
  • Des friches péri-urbaines notamment industrielles
  • Des zones touristiques très fréquentées
  • Des territoires « renaturalisés » notamment par le Conservatoire du Littoral

Des dégâts agricoles théoriquement à la charge des propriétaires

Des mesures administratives de régulation peuvent être prises, si nécessaire, sur tous ces territoires, mais seulement dans la mesure où elles sont praticables sur le terrain (elles sont particulièrement délicates en zone péri-urbaine, par exemple). Elles peuvent le cas échéant être imposées à des propriétaires de « sanctuaires » privés… si l’autorité préfectorale s’y résout. Mais ces battues administratives ne sont pas au bout du compte une solution toujours praticable, ni suffisante.

La question des dégâts et dommages causés par les cerfs, chevreuils et sangliers qui profitent de ces zones refuges se pose donc de manière croissante : dégâts agricoles, mais aussi dégâts sur les espaces naturels publics et les jardins privés, collisions routières, etc. S’agissant des dégâts agricoles, leur indemnisation aux exploitants est entièrement à la charge des fédérations départementales de chasseurs (depuis la loi de finances de 1968 et la loi Voynet de juillet 2000 qui en a transféré la gestion de l’Office national de la chasse aux fédérations). Qu’il s’agisse de territoires chassables ou non, chassés ou non, l’indemnisation est obligatoire.

Certes, la loi permet en théorie de faire jouer la responsabilité des propriétaires de ces zones refuges, qu’ils soient publics ou privés. Selon le Code de l’environnement[4]Article L425-5-1, Code de l’environnement, Légifrance  :

Lorsque le détenteur du droit de chasse d’un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l’indemnisation mentionnée à l’article L. 426-1 et la prévention des dégâts de gibier mentionnée à l’article L. 421-5.

Cette disposition s’applique également aux propriétés retirées des ACCA par opposition de conscience, dont le propriétaire est tenu de gérer ou de faire gérer le grand gibier le cas échéant[5]Article L422-15, Code de l’environnement, Légifrance  :

Le propriétaire ou le détenteur du droit de chasse ayant fait opposition est tenu de procéder ou de faire procéder à la destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts et à la régulation des espèces présentes sur son fonds qui causent des dégâts.

Mais le cas Besson, où la fédération des chasseurs de l’Orne a été débouté par la justice en première instance puis en appel[6] Voir, pour les détails de cette affaire : Retour sur l’affaire Besson et les sanctuaires animalistes privés, Thread Twitter, Franc Aller, 5 septembre 2019 , illustre un problème récurrent : il est en effet extrêmement difficile de faire reconnaître devant les tribunaux la responsabilité des propriétaires de ces « sanctuaires » privés. Leurs avocats ont beau jeu d’exiger une preuve matérielle que les dégâts agricoles commis chez leurs voisins ont bien été causés précisément par les animaux provenant du fonds concerné.

Un système d’indemnisation inégalitaire et à bout de souffle

Au-delà de cette question spécifique des « sanctuaires » privés, qui n’est finalement qu’une petit partie du problème, la Fédération nationale des chasseurs s’est attelée depuis 3 ans à obtenir une réforme du système d’indemnisation des dégâts agricoles du grand gibier, dont le coût a explosé, atteignant presque 80 millions d’euros par an à la charge des seuls chasseurs, et mettant en péril la viabilité financière de nos fédérations départementales[7]Dégâts de gibier, Fédération nationale des chasseurs . Les négociations avec l’État n’étant pas, semble-t-il, des plus évidentes sur ce dossier, la Fédération nationale a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité auprès du Conseil constitutionnel[8]Indemnisation des dégâts de grands gibiers : le Conseil d’État saisit le Conseil Constitutionnel, Fédération nationale des chasseurs, 21 octobre 2021  : en l’état, cette obligation d’indemnisation y compris en cas de grand gibier non chassable, porte en effet atteinte au principe fondamental d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Mais une réforme très délicate

Mais en quel sens mener cette réforme nécessaire ? Il est tentant de dire : que les responsables paient ! Que les propriétaires, privés ou publics, de territoires où la chasse est interdite soient taxés eux aussi afin de financer l’indemnisation des dégâts agricoles causés par le gibier cantonné dans ces zones refuges… Mais attention, c’est une mesure qui pourrait être lourde de conséquences pour la chasse.

Le Code de l’environnement reconnaît en effet à la chasse un rôle d’intérêt général, pour la préservation de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique :

L’équilibre agro-sylvo-cynégétique consiste à rendre compatibles, d’une part, la présence durable d’une faune sauvage riche et variée et, d’autre part, la pérennité et la rentabilité économique des activités agricoles et sylvicoles.

[…]

L’équilibre agro-sylvo-cynégétique est recherché par la combinaison des moyens suivants : la chasse, la régulation, la prévention des dégâts de gibier par la mise en place de dispositifs de protection et de dispositifs de dissuasion ainsi que, le cas échéant, par des procédés de destruction autorisés[9]Article L425-4 du Code de l’environnement, Légifrance .


La gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d’intérêt général. La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l’équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique.

Le principe de prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables s’impose aux activités d’usage et d’exploitation de ces ressources. Par leurs actions de gestion et de régulation des espèces dont la chasse est autorisée ainsi que par leurs réalisations en faveur des biotopes, les chasseurs contribuent au maintien, à la restauration et à la gestion équilibrée des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité. Ils participent de ce fait au développement des activités économiques et écologiques dans les milieux naturels, notamment dans les territoires à caractère rural[10]Article L420-1 du Code de l’environnement .

La contrepartie de ce rôle est ce système d’indemnisation des dégâts agricoles, à notre charge. Ne plus l’assumer entièrement pourrait ouvrir une brèche vers la mise en cause de ce rôle d’intérêt général. La réforme pourrait donc s’orienter plutôt vers une prise en charge par la collectivité des coûts de gestion du système d’indemnisation, voire des coûts de prévention, qui constituent une grande partie du coût total…

Notes & références

Notes & références
1 La justice donne de nouveau raison à Luc Besson face à la Fédération de la chasse de l’Orne, France bleu, 28 octobre 2021
2, 7 Dégâts de gibier, Fédération nationale des chasseurs
3 Restaurer l’équilibre agro-sylvo-cynégétique pour une pleine maîtrise des populations de grand gibier et de leurs dégâts à l’échelle nationale, Mission parlementaire relative à la régulation des populations de grand gibier et à la réduction de leurs dégâts, Jean-Noël Cardoux & Alain Péréa, Mars 2019
4 Article L425-5-1, Code de l’environnement, Légifrance
5 Article L422-15, Code de l’environnement, Légifrance
6 Voir, pour les détails de cette affaire : Retour sur l’affaire Besson et les sanctuaires animalistes privés, Thread Twitter, Franc Aller, 5 septembre 2019
8 Indemnisation des dégâts de grands gibiers : le Conseil d’État saisit le Conseil Constitutionnel, Fédération nationale des chasseurs, 21 octobre 2021
9 Article L425-4 du Code de l’environnement, Légifrance
10 Article L420-1 du Code de l’environnement

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